Journée d’études des 13-14 décembre 2014
1° Les groupes dans les institutions lieux de vie
– – Introduction – D. QUELINx
Ce thème est symbolique pour le CIRPPA. D. QUELIN rappelle que la première recherche a été initiée par
J.-B. CHAPELIER et P. PRIVAT La première évolution s’est faite ensuite avec l’intérêt pour des groupes d’enfants non névrosés….. et souvent traités en institution, le terme tant utilisé ici par opposition à prise en charge ambulatoire. Ce qui a amené petit à petit à une nouvelle question celle qui s’ s’offre à nous ce jour : comment faire pour les enfants en établissement lieu où ils sont à la fois hébergés et pris en charge au niveau thérapeutique ? Ces enfants se retrouvent ensemble ailleurs en dehors des séances de groupe. Quelles incidences en découlent ? Comment peut-on en tenir compte ? Dire que l’institution est aussi dans le groupe ne suffit pas. Selon P. FUSTIER, il existe des institutions de compromis définies par le vivre avec et les actes techniques. Le compromis est plus ou moins bien réussi. Les organisateurs œdipiens et préœdipiens sont théoriquement juxtaposés Mais ces organisateurs sont en dynamique soit de façon dialectique soit de façon dictatoriale en fonction des mouvements groupaux institutionnels.
Y-a-t-il un travail spécifique à faire avec l’institution ? D. Roffat va nous en parler plus en détails. Doit-on d’autre part parler de psychothérapie ou nommer autrement le travail qui se fait dans ce type d’institution ?
Ces questionnements vont animer ces 2 jours de réflexions.
– – Institution et groupe : le risque de l’anti-processus. D. ROFFAT
Mettre en place une psychothérapie groupale dans une institution produit des effets particuliers et provoque des résistances contre les remaniements induis par cette création groupale dans la vie institutionnelle. Après avoir défini les notions d’Anti-processus et « d’institution de résidence », concepts nécessaires pour aborder la question de la rencontre entre le groupe et l’institution, il sera envisagé un scénario catastrophe, comme métaphore des risques potentiels entre « l’instituant » et « l’institué » lorsque qu’un temps de création vient réinterroger les origines de l’institution.
1) La Tendance à « l’Anti-processus ».
Le concept « d’Anti-processus » a été dégagé par J.Bleger à partir de sa théorisation du cadre. Le cadre comprend une partie non-processuelle, clivée, conteneur de la symbiose. Faite des dépôts anonymes des sujets du lien, elle correspond à l’immobilisation du Non-moi, du Non-moi corporel, du proto-mental (Bion) et représente ainsi le véritable continuum identitaire, inconscient et méconnu, de chaque sujet et de chaque groupe. Sur ce fond reposent et sont maintenues au secret les parts psychotiques des sujets. Ces dépôts, fruits du travail de la négativité radicale (R.Kaës), doivent rester clivés pour qu’un processus advienne, c’est-à-dire pour que la sociabilité par interaction, le travail du Moi puisse alimenter le groupe de travail. Mais un trop de clivage, peut travailler à l’encontre du processus. Ainsi, pour J.Bleger, la tendance à « l’anti-processus » décrit comment le niveau de l’organisation de l’institution, renforçant le clivage entre sociabilité par interaction et le niveau syncrétique-symbiotique, conduit à une paralysie et éloigne le travail institutionnel de la tâche primaire. La tendance à l’anti-processus est une figure du travail de la mort dans les institutions.
2)Les institutions
Les institutions soignantes, au sens large, ont pour socle commun la notion de don. (cf : les travaux de Marcel Mauss, et des psychanalystes qui s’y sont référés : P.Fustier, J. Hochmann, M.Sassolas, pour ne citer que les principaux.) Le Don, cet « effet de leurre » » (J.Hochmann) tend à humaniser la prise en charge en apportant des services, vécus par les patients, comme effet d’une gratuité, d’un investissement désintéressé, (transports en taxi et autres services gratuits à la personne ou à la famille). Cette notion est essentielle pour comprendre les enjeux relationnels qui se nouent avec le personnel soignant dans les institutions.
Je propose de différencier deux types d’institutions : Les institutions « lieux de vie » et les « institutions de résidences ».
2.1)Les institutions « lieux de vie » :
Ces institutions se retrouvent majoritairement dans le secteur pédo-psychiatrique : hôpitaux de jours, Cattp, service d’accueil….. Elles proposent une prise en charge séquentielle. Il s’agit, comme le soulignent P.Fustier « d’éviter que les patients se logent entièrement à l’intérieur de l’institution, comme dans une enceinte maternelle. » (Fustier, 1993, p.42). Sur fond de continuité de la prise en charge, elle propose une discontinuité faites de séparations rythmées et cohérentes. Elles mettent les sujets au travail sur la question du manque et de sa symbolisation. C’est un objet avec des creux.
2.2)« Les institutions de résidence. »
Par ce terme je désigne les institutions du champ social, sanitaire et médico-social qui assure une véritable suppléance parentale, en prenant en charge la majeure partie des préoccupations familiales pour l’enfant, l’adolescent, et l’adulte. Elles ont le plus souvent un internat. Je pense ici aux Ime, Impro, Itep, foyers, maison d’enfants à caractère social….
L’institution se présente comme un méta-cadre, assurant pour l’ensemble des membres du lien et des groupes des fonctions psychiques. Le méta-organisateur de ces institutions étant le complexe œdipien, pour au-moins deux raisons, l’interdit de la violence qui renvoie à celle déployée lors du meurtre du père de la horde et l’interdit du toucher, préfiguration de l’interdit de l’inceste qui fait qu’il y a un interdit de la sexualité. Le paradoxe serait que la sexualité n’est pas interdite, mais dans l’espace institutionnel il y a un interdit de la sexualité. Aux lieux du « Touchant-touché », espace particulier de l’identification mutuelle (Cf. K.Abraham), la rencontre entre le patient et le soignant reste très codifiée par des règles (invariants) qui garantissent chaque membre du lien contre les effets d’une séduction délétère.
Deux autres organisateurs institutionnels sont particulièrement mobilisés le fantasme séduction (séduction par l’objet maternel, séduction par l’adulte « On bat un enfant » et les multiples variantes qu’il propose pour le sujet) et le fantasme de scène primitive.
Si l’imaginaire maternelle domine, le cadre – par ses invariants, son aspect tiers et protecteur – renvoie à la dimension paternelle.
L’institution lieu de vie, l’institution de résidence se présente comme un « objet en plein ».
3.)Risques, craintes et enjeux de la mise en place : Scénario catastrophe
Dans ces institutions qui s’organisent autour de l’imago de la mère dévouée et qui tendent dans leur fonctionnement d’actualiser la représentation d’une mère suffisamment bonne, toute création, donc toute mise en place d’un nouveau dispositif, active des fantasmes de captation et de dépossession.
3.1)La dépossession :
La création d’un groupe propose une découpe du fond institutionnel, tel qu’est défini le fond maintenu par le clivage qui instaure le cadre. Le fond du groupe et le fond institutionnel ne font qu’un : c’est le même. La mise en place d’une pratique hétérogène à l’idéologie du prendre soin (care) d’une institution, revient à faire une réinterprétation du cadre de celle-ci. On connaît le sens de cette interprétation; il s’agit de réduire le clivage entre sociabilité syncrétique et sociabilité par interaction, de favoriser une régression à même de laisser remonter les éléments de l’archaïque ou de la symbiose. ( définition du cadre psychothérapique). La découpe opérée affilie les patients à un autre ordre de traitement (cure). Cette situation peut convoquer des sentiments de dépossession ou de rapt chez les sujets de l’institution : appropriation et rapt de l’objet maternel par le ou les thérapeutes, fantasmés comme ayant un commerce particulier avec celle-ci, jouissant de celle-ci à des fins propres.
Je cite R.Kaës :
« L’adhérence narcissique à l’objet institutionnel commun concerne l’origine commune des sujets liés dans le fantasme familial. Cette adhérence a pour effet que chacun est supposé capable de mettre en péril l’objet commun et partagé, dès lors qu’il s’en approprie une partie, qui de ce fait est dérobée à la communauté. » (R.Kaës, 1987, p.31)
L’institution co-fondatrice du groupe thérapeutique se trouverait donc à héberger dans son sein un objet étranger et hétérogène, dont elle n’aurait plus la maîtrise. Une partie de la vie institutionnelle serait confisquée, sous l’emprise d’un seul. Dans le déroulement du groupe thérapeutique les enfants entre parfois en écho avec ces craintes ou ces fantasmes d’arrière-fond. Ils figurent cette conflictualité sous la forme d’un claustrum anal, ce qui fait lien aussi avec leur pathologie lorsqu’ils entrent dans la catégorie des enfants ayants des troubles de la limite. Ainsi, la mise en place du pré carré du groupe thérapeutique, peut générer des vécus d’aliénation et de dé-subjectivation, aussi bien chez les patients que chez les soignants, si l’on ne prend garde à instituer certains aménagements. On peut comprendre ces craintes, avec R.Kaës (1987, p.9), comme un temps où s’exprime l’appréhension que l’institué prenne le pas sur l’instituant. Lorsque l’institué prend le pas sur l’instituant nous sommes dans une autre situation « d’anti-processus ». L’institution va se mobiliser pour se défendre contre l’objet qu’elle a elle-même institué…c’est le scénario catastrophe.
3.2)Le scénario catastrophe :
Le groupe pourrait être vécu comme travaillant du coté d’un désoclement identitaire institutionnel. L’institution co-fondatrice du groupe se trouve envahie par des contenus en provenance du groupe, contenus non-désirés et non désirables dans son espace. Comme si ce qu’elle avait porté sur les fonds baptismaux lui revenait sous forme d’éléments destructeurs, éléments bizarres (Bion), menaçant son équilibre. Se joue, sur les bords du clivage et de son maintien, l’un des enjeux principaux de la mise en place des groupes thérapeutiques dans les institutions. Le contrat narcissique institutionnel comme le pacte dénégatif sont en menace d’être dénoncés. Les organisateurs psychiques institutionnels (les invariants) changent de polarité et deviennent des désorganisateurs. Ils n’offrent plus de représentation limitantes et rassurantes. Ils deviennent facteurs de l’augmentation de l’angoisse et de l’excitation. Le groupe devient alors un objet qu’il faut évacuer.
Les conditions sont alors requises, dans un tel scénario pour qu’une tendance à l’anti-processus s’instaure dans le lien institution et groupe.
Je n’insisterai pas sur les formes qu’elle prend :
⁃ La plus courante étant celle de la sectorisation et de l’isolation. Le GT devient le lieu de dépôt et de décharge du négatif institutionnel. L’institution cherchant par tous les moyens à étouffer le groupe, le circonscrire à une partie congrue, voir à le détacher de l’institution.
Pour traverser des institutions de consultations pour y faire un travail de supervision, ou lors de formation, j’ai pu constater d’autres formes de situation d’anti-processus. En voici deux exemples :
⁃ La multiplication des groupes abrase les différences professionnelles : tout le monde fait du groupe. « Faire du groupe » devient l’identité professionnelle commune et seule reconnue. Les différenciateurs sexuels s’estompent comme ceux de la différence générationnelle.
⁃ Les groupes thérapeutiques dégénèrent en ateliers et deviennent des groupes anti-processuels.
BIBLIOGRAPHIE
ABRAHAM KARL.,(1907-1914) Œuvres complètes, tome 1, Payot, 1989,368 pages
BLEGER J., (1966), Psychanalyse du cadre psychanalytique in, R.Kaës (et al), Crise rupture et dépassement, Paris, Dunod, 1979. pp.255-274
BLEGER J. (1971), Le groupe comme institution et le groupe dans les institutions. in R.Kaës (et al) ; L’institution et les institutions. Etudes psychanalytiques. Paris, Dunod, 1987, pp.47-61.
FUSTIER P., (1993) Les corridors du quotidien.Paris, Dunod, 2014, 256 p.
KAËS R., (1987) , Réalité psychique et souffrance dans les institutions, in R.Kaës et al., L’institution et les institutions. Etudes psychanalytiques. Paris, Dunod, pp.1-46
HOCHMANN J., Pour une psychiatrie communautaire, Paris, Le Seuil, 1971.
MAUSS. M., (1925), Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, Introduction de Florence Weber, Quadrige/Presses universitaires de France, 2007.
– Quand est-ce qu’on va dans le groupe ? V. FRANÇOIS et L. GUIBERT
Une expérience d’un groupe d’association libre, fermé, à durée déterminée dans une institution qui propose de multiples groupes aux enfants et qui se rapproche d’un lieu de vie.
RESENTATION DU CADRE INSTITUTIONNEL
-Un secteur de pédopsychiatrie en banlieue parisienne
-un CATTP qui existe depuis 30 ans, qui accueille des enfants de 6 à 12 ans porteurs de TED ou TSA ou encore des pathologies autistiques et psychotiques mais ayant des capacités cognitives qui leur permettent d’être scolarisés en milieu banal.
-un HDJ existant depuis 2004 qui accueille des enfants du même âge, porteurs des mêmes pathologies mais ne leur permettant pas une scolarité en milieu banal voire une scolarité tout court,
-un lien de filiation entre les 2 institutions, le projet de l’HDJ ayant été penséà partir du modèle du CATTP
-une psychologue à temps partiel au CATTP
-une psychiatre à temps partiel à l’HDJ.
Toutes 2 « élèves » au CIRPPA et toutes 2 en mal de groupe à la fin de la 1ère année de supervision.
Nous décidons en 2011, psychiatre et psychologue, de proposer un groupe d’enfants d’association libre au CATTP qui aura l’obligation de se nommer, ce sera « paroles en jeu » Le projet d’origine du CATTP créé en 1983 par des psychiatres-psychanalystes repose sur la Thérapie Institutionnelle. L’un des fondateurs de l’institution est décédé il y a quelques années seulement, son empreinte est restée présente mais le personnel s’est beaucoup renouvelé très récemment et le nombre de personnes ayant connu l’équipe d’origine se réduit actuellement à un seul psychologue. Et l’on sent qu’avec ces nouveaux arrivants et l’aval du médecin responsable, les lignes bougent…
Dans ce lieu de soin, est reçue une vingtaine d’enfants d’âge d’école primaire auxquels sont proposées de deux à quatre demi-journées de soin par semaine. Certains d’entre eux bénéficient de repas, un ou deux dans la semaine. Sans être un lieu de vie, puisque les enfants sont à temps partiel, le temps passé au sein de l’institution est donc assez conséquent, surtout si l’on prend en compte que les autres demi-journées sont accordées au scolaire et que sept enfants fréquentent une CLIS qui n’accueille que des enfants du CATTP, ce qui leur donne un statut administratif de patients d’hôpital de jour.
L’équipe est composée de personnels à temps partiel: deux psychiatres, quatre psychologues, une psychomotricienne et de personnels dits permanents, à savoir deux infirmières, deux éducatrices, une cuisinière, un agent d’entretien et une secrétaire.
Les demi-journées sont structurées par les groupes thérapeutiques qui durent de 3/4 d’heure à une heure. Ces groupes, une vingtaine sur la semaine, sont créés à partir de médiations: histoire à modeler, jeu théâtral, Squiggle, pataugeoire, conte, etc… Il y a entre deux et cinq enfants et deux à trois soignants dans chaque groupe. Parmi les adultes, les fonctions semblent confondues, chacun intervient dans le groupe de sa place avec sa formation spécifique, sans hiérarchisation de la parole. Ces groupes sont hebdomadaires, ils ne sont pas fermés et sont établis par l’équipe soignante pour chaque enfant pour l’année scolaire. Les groupes sont donc ouverts, mais en général, il est proposé à un enfant de rester dans le même groupe au moins deux ans.
Le cadre théorico-clinique de chaque groupe est fonction de la formation des soignants qui l’animent. L’organisation institutionnelle ne prévoit pas de temps spécifique de réflexion post-groupe. Ce qui commence à être ressenti par l’équipe comme une frustration, le temps grappillé pour cela est vécu comme volé parfois et au détriment de la contenance institutionnelle. L’idée initiale du travail clinique proposé par les fondateurs était que lors de la réunion de synthèse hebdomadaire de trois heures, chacun puisse rapporter ses observations concernant un enfant, observations provenant en particulier des groupes mais aussi des autres espaces institutionnels et que la clinique de l’enfant puisse s’élaborer en grand groupe! Tous les groupes depuis la création du CATTP sont donc des groupes à médiation où il s’agit de travailler individuellement avec chaque enfant en groupe. Un autre axe était celui de travailler de façon privilégiée avec « la partie saine » des enfants, l’idée étant de les « hisser » et non de travailler avec la régression. La dimension du corporel, l’en-deçà du langage n’étaient pas considérés jusqu’à il y a peu, comme entendantes.
Notre groupe a duré 2 ans. C’était un groupe annoncé comme fermé et à durée limitée. Ce choix du fait de l’innovation : nous voulions nous assurer que nous le finirions dans de bonnes conditions.
Nous l’avons présenté au CIRPPA à mi-parcours après un an de travail en juin 2013.
A la fin de notre présentation, une question a émergé: « peut-on proposer ce type de groupe dans une institution où les enfants et les adultes se côtoient en dehors du groupe? ».
Pour nous, les enfants du groupe, ainsi que toute l’institution ont pu profiter de cette expérience parce qu’elle est venue interroger une équipe à un moment où elle était en mesure de le faire.
Cheminement :
On a bien dit groupe « fermé »? Donc: verrouillage des issues, des armoires, placards, meubles, robinet d’eau.
Mais le groupe transpire, on sue à l’intérieur, ces parois sont poreuses, on nous entend à l’extérieur.
Vérification de la solidité de l’enveloppe physique par les coups donnés dans les murs, les meubles… mais aussi de la solidité institutionnelle humaine, par les insultes hurlées à l’endroit des thérapeutes du groupe comme: « espèce de pète Laden femelle !! » ou plus soft : « Le loup va casser la maison thérapeutique! »
Alors même que ce groupe avait été accepté sans trop de réticence, son installation physique au cœur de l’institution le mardi après-midi s’apparente à la présence d’une masse kystique qui bouleverse par sa seule présence l’équilibre de la région.
Les enfants sont évidemment en 1ère ligne pour éprouver ces bouleversements et la tension qu’ils provoquent chez les adultes – et nous pouvons leur faire confiance pour qu’ils interrogent inlassablement ce qui reste impensé! – Ils refusent de rentrer dans le groupe, sortent par les fenêtres, importent des peluches…
Bref ils interrogent sans cesse cette bordure, cette membrane qui nous sépare et nous lie au reste de l’institution.
Enfin nous n’avions pas anticipé à quel point le groupe avait besoin de l’institution et à quel point nous allions souffrir avant d’éprouver sa contenance.
CETTE MEMBRANE est finalement constituée d’au-moins 3 ESPACES que nous avons choisis comme loupe pour évoquer ce qui se joue entre l’institution et nous, dans un aller-retour.
1 – Le couloir:
Les enfants y stationnent avant d’entrer dans la salle de groupe. Ils nous y attendent, s’y cachent. Ils y trouvent des peluches qu’ils importent dans le groupe, comme matériel pour eux ou à leur place, pour nous. Ils essaient aussi d’y introduire les coussins de la salle d’attente qui se trouve devant la porte du groupe. Quand ils y sont consignés dans ce couloir, parce que nous avons décidé de fermer la porte et de les attendre à l’intérieur, ils utilisent l’interrupteur de la lumière (qui se trouve à l’extérieur) pour nous faire signe et finalement frappent à la porte avant de décider d’entrer.
Mais le couloir est aussi le premier espace où l’équipe réagitde manière très épidermique, d’abord par des: « c’est impressionnant! » puis de façon plus incisive et moins policée « Mais qu’est-ce qui se passe pour qu’on entende un tel chambard? Autant de coups, de hurlements, d’insultes? » « Vous êtes 2 thérapeutes, et plutôt chevronnées alors quoi? » La confiance n’est plus de mise.
Plus tard, bien plus tard puisque cela se passe dans le courant de la 2ème année, une collègue du groupe « conte » lequel se tient dans une pièce mitoyenne, vient frapper à la porte : « il y a trop de bruit nous ne pouvons plus travailler ! ». Par la suite un enfant de notre groupe se renseigne : « on a fait moins de bruit aujourd’hui? ». Autant de menus échanges qui tissent entre membres de l’institution enfants et soignants ce tissu conjonctif capable de contenir. Ce que nous avions pu ressentir au début comme intrusif et culpabilisant, nous l’avons à ce moment-là, vécu, ressenti comme bienveillant.
Un autre jour nous allons à nouveau éprouver la fonction de zone tampon du couloir : alors que les enfants résistent à entrer dans la salle de groupe et que nous débattons autour de la porte, « la maitresse de maison » apparaît avec ses seaux et balais brosse et leur dit : « Ceux qui ne veulent pas aller dans le groupe viennent faire le ménage avec moi », l’effet est immédiat: 3 enfants sur 4 se précipitent dans notre salle de groupe, le 4ème accepte de la suivre mais finalement se rallie au mouvement groupal.
2 – Le rassemblement:
Il a lieu avant les groupes thérapeutiques proprement dits. Il s’agit d’un moment où tous, enfants et adultes présents dans l’institution sont rassemblés et où chacun à son tour, peut prendre la parole s’il le souhaite et doit écouter celui qui prend la parole. C’est un exercice très difficile pour ces enfants atteints de pathologie où dominent les angoisses archaïques et pour les adultes qui n’ont pas l’habitude de prendre en compte dans ce temps-là la régression qu’induit la mise en groupe. Les 1ers temps nous assistons à la sidération de la pensée et à l’inhibition des adultes induites par notre présence « étrangère »: groupe étranger, thérapeute étranger, support théorique étranger. Nous-mêmes nous sentons à la limite de la légitimité, ce qui nous encourage peu à la prise de parole.
Nous avons là éprouvé très fort la difficulté de ne pas être dans une attitude commune entre adultes vis à vis des enfants. Une collègue dit à ce sujet: « On dirait que les adultes ne sont pas accordés, c’est la première fois que je ressens ça! » ; il y avait quelque chose à entendre pour entamer une réflexion avec l’institution; une autre soignante de dire: « nous ne sommes pas contenants ».
Le rassemblement a lieu dans la grande salle de réunion au milieu de laquelle il n’y a qu’une petite table, donc beaucoup d’espace vide autour, et le jour de notre groupe, assis sur des fauteuils le long des murs, onze enfants et six adultes; comme on peut l’imaginer les corps coulent, les enfants s’invectivent, les émotions sont fortes, l’indifférenciation à son comble. Le sens structurant de ce « rassemblement » devient flou et tout le monde l’appréhende. Pour ce qui l’en est d’un « rassemblement » éventuel, on ne ressent plus que sensation de morcellement et non d’unification. Lorsque l’excitation est maximale, on en vient de façon dévitalisée à faire la liste des absents et on abrège le supplice.
C’est dans ce moment qu’un enfant de notre groupe demande à plusieurs reprises la dernière année: « Quand est-ce qu’on va au groupe? », signifiant à la fois ce malaise généré par le grand groupe du « rassemblement » et le désir d’aller au groupe « paroles en jeu » qui est devenu au fil du processus thérapeutique et de notre intégration dans l’institution, un lieu enviable et non plus un lieu d’angoisse, de chaos. Un groupe où on pouvait entrer tranquillement sans rester caché dans le couloir, sans les objets du dehors.
Au fil du temps, nous avons accepté les règles plus éducatives de ce moment institutionnel, tandis que nos interventions groupales pouvaient être entendues et reprises par des collègues. Nous avons pu nous accorder pour que ce moment soit davantage partageable, moins anxiogène même s’il reste un moment qui interroge les options théorico-cliniques de l’institution.
3- La synthèse:
C’est le temps d’élaboration en équipe. Nous avions proposé de prendre date pour parler de notre groupe en synthèse ce qui n’est pas habituel dans cette institution. En effet une synthèse est toujours centrée sur un enfant, pas sur un groupe. Après des actes manqués signifiants de part et d’autre, nous avons pu enfin consacrer un temps pour une première réunion. Véronique fait œuvre de pédagogie pour expliciter les mouvements groupaux et donner du sens à l’agitation perçue par les voisins. Nos collègues paraissent intéressés et demandent de poursuivre nos rencontres sur ce thème, nous plaçant en position d’expertise, alors que nous nous sentons apprenties.
Petit à petit s’opère un déplacement de la discussion sur le rassemblement: malaise, ce rassemblement du mardi est difficile. Nous débattons de ce numéro d’équilibriste que nous avons à faire si l’on veut prendre en compte l’angoisse suscitée par le grand groupe et l’exigence éducative adressée aux enfants de s’écouter et de converser de façon civile.
Lors de la deuxième rencontre, nous parlons à la demande des collègues d’un des garçons du groupe qui inquiète parce qu’il dort pendant la plupart de ses autres temps thérapeutiques. Nous acceptons la règle de la synthèse qui est de parler d’UN enfant. L’équipe retrouve ses marques.
Lors de la troisième rencontre, le médecin responsable souhaite que nous continuions notre groupe l’année suivante. Nous ne le ferons pas, nous avions projeté une durée déterminée et nous nous en tenons à notre projet initial. Mais nous apprécions là le chemin parcouru ensemble.
Depuis d’autres propositions de travail singulières sont faites au sein du CATTP que nous savons être le fruit de cette expérience.
Les enfants, l’équipe, l’institution ont-ils profité de cette expérience de groupe d’association libre dans ce lieu ?
Les enfants oui, par ce qu’ils ont vécu, traversé et élaboré avec nous, mais aussi par le changement de regard des autres membres de l’équipe. L’équipe se désespérait que A. dorme pendant tous ses autres temps thérapeutiques. Au fil du temps et après avoir joué l’endormissement et la mort dans notre groupe il a pu sortir de sa réserve ailleurs. T. étiqueté déficitaire en sus de sa psychose et vécu comme mauvais objet par certains soignants a révélé dans le groupe d’étonnantes capacités de verbalisation dont il a su faire profiter le grand groupe pendant le rassemblement, interrogeant très finement le malaise entre les soignants, en résumé en posant autant de fois qu’il a fallu, la question « mais qui décide des règles ? ». C’est lui qui demandait régulièrement : « quand est ce qu’on va au groupe ? »
Les thérapeutes du groupe ont pu éprouver progressivement la sécurité que l’enveloppe institutionnelle pouvait apporter, ainsi que la possibilité d’une prise de risque de l’institution pour accueillir une nouvelle expérience qui bouleversait ses habitudes.
Evidemment pour nous cela a été aussi la possibilité de poursuivre la formation au CIRPPA et de la « partager » avec les collègues du CATTP ; c’est parce que nous avons pu beaucoup parler en supervision de ce qui se passait dans le groupe, que nous avons pu être rassurées sur la banalité de toute cette pagaille à l’intérieur et que nous avons pu envisager de nous exposer au rassemblement et en synthèse, à l’extérieur.
Enfin l’équipe avec nous semble aussi avoir profité de cette expérience:
Elle a trouvé un intérêt à côtoyer ce nouveau modèle théorique pour elle, et ensemble nous avons expérimenté que les attaques dans les groupes peuvent être contenues par les groupes parce que les groupes sont contenus par l’institution, son cadre matériel et humain.
Nous avons éprouvé ce qu’est un collectif thérapeutique, fait de tous les membres du personnel, soignants, agent, secrétaire.
Nous avons pu affronter les vécus persécutifs que procurent souvent les changements d’organisation institutionnelle
L’équipe a pu interroger son fonctionnement à partir d’un malaise ressenti dans l’espace commun du rassemblement.
Elle a su réinvestir le fruit de cette expérience dans d’autres espaces, d’autres projets.
Elle a pu éprouver les « liens d’autonomie, de reconnaissance et de respect mutuel » (Chapelier) qui forment un tissu institutionnel de bonne qualité.
L’équipe a montré un mouvement fortement ambivalent au début puis une disposition pour un travail psychique qui nous a permis d’échanger et d’avancer ensemble.
Conclusion
Nous pouvons parler des limites qu’a trouvées ce groupe dans ce dispositif.
Pour les raisons que nous avons données au début de notre intervention nous avons limité la durée à 2 ans, 2 années scolaires. Nous n’avons donc pas pu travailler ensemble le moment de l’arrêt.
Bien évidemment les règles de restitution et d’abstinence ne peuvent être soutenues dans ce type de lieu. Il peut être même parfois compliqué en tant que thérapeute du groupe d’entendre tout ce qui se dit dans d’autres endroits concernant les enfants du groupe. De ce fait la place de Laurence a semblé peut-être plus confortable que celle de Véronique. Néanmoins il nous paraît que justement cette possibilité d’être dedans et dehors a permis tout le travail institutionnel dont nous venons de parler.
Nous aurions pu approfondir notre réflexion sur les échos. Mais nous nous sommes aperçus en reprenant les notes que nous nous étions focalisées sur le processus dans le groupe et que nous n’avions pas pensé ou moins pensé à écrire ce qui se passait dans les couloirs ou dans le rassemblement concernant le groupe. Cela aurait évidemment été précieux pour notre sujet d’aujourd’hui.
Enfin nous ne voulons pas généraliser parce qu’on peut avoir le sentiment que ce qui est possible à un moment ne le serait plus à un autre, ou n’aurait pu l’être avant. On peut faire l’hypothèse que cette institution de par le renouvellement important du personnel et dans un deuil des pères fondateurs qui commence à s’éloigner, la créativité est à l’œuvre…ça cherche!
– Discussion générale (reprise par C. CHAMPONNOIS)
Les exposés de D. Quélin, D. Roffat, V. François et L. Guibert ont permis d’aborder différentes questions sur la thématique :groupes et institutions-lieux de vie. Les premiers groupes concernaient des enfants à l’âge de la latence et se déroulaient en ambulatoire en CMPP. On est passé à des groupes d’enfants d’âges divers dans des institutions du médico-social avec une nouvelle difficulté : les enfants se connaissent et se rencontrent dans la réalité quotidienne. Ces groupes psychothérapiques doivent en plus trouver place dans la trame institutionnelle sans être réduit à une activité offerte aux enfants. D’autre part on se confronte à une plus grande difficulté à construire des groupes hétérogènes dans des institutions qui accueillent des enfants de même pathologie.
Différentes questions ont été posées:
La formation des groupes: Qui décide de l’entrée des enfants ou adolescents dans le groupe ? Beaucoup s’accordent (Roffat, Poncelet) à soigner le travail préparatoire du groupe, en lien avec les médecins, les éducateurs en réunion de synthèse et à prendre en compte les rencontres informelles avec le personnel dans l’institution. Dans l’exemple donné par V. François et L. Guibert, le montage est différent : on passe du grand groupe au petit groupe et les thérapeutes ne choisissent pas les enfants bien que ceux ci aient été choisis à un moment donné et par quelqu’un (Chapelier). Le travail de rêverie du thérapeute qui construit son groupe dans les rencontres avec les candidats au groupe n’occupe pas le devant de la scène.
Les relations avec les éducateurs :
Dans ces institutions lieux de vie, il y a surtout des éducateurs. La question de la différenciation, soulignée par JJ.Grappin se pose de façon aiguës et est sans cesse remise au travail. Les éducateurs aussi ont des groupes : en quoi sont- ils différents ? D. Roffat différencie le groupe thérapeutique de l’éducateur et le groupe psychothérapeutique du psychologue, il différencie aussi le temps du groupe du temps de placement (les enfants reviennent dans son groupe en ayant quitté l’établissement). La question du temps est importante car comment intercaler le temps du groupe dans le temps du service sans désorganiser et alimenter le vécu des soignants d’un rapt des enfants (J-J. Poncelet).
Les fantasmes mis en œuvre
Dans les institutions présentées on peut repérer les fantasmes en œuvre, notamment celui du rapt de l’enfant, l’institution se sentant alors dépossédée. De même les fantasmes sur ce qui se passe derrière la porte de la salle du groupe.
On revient sans cesse à la nécessité du travail commun dans les réunions de synthèse ou autre types de rencontres.
Quel type de fonctionnement peut -on alors repérer? D. Roffat pointe dans son institution le côté maternel du travail des éducateurs, ce que n’a pas saisi J.B. Chapelier dans une expérience dans un ITEP où, au contraire, le côté paternel est porté par l’éducatif et le côté maternel par le psychologique . P. Laurent propose l’idée d’un retour sur la dimension de l’interdit de l’inceste, comme si quelque chose manque et nécessite le rappel des interdits. En effet pour elle les enfants peuvent porter une fonction phorique dans le groupe . Ce sont les enfants qui demandent dans le grand groupe de l’institution de V.François et L.Guibert : « qui commande ici? ». La synthése peut être un espace essentiel pour prendre conscience de ce qui se passe .
Qu’est ce qui fait trauma dans l’institution ?
L’expérience relatée par D. Roffat décrit un vécu catastrophique à partir de plusieurs éléments: un changement de directeur, l’introduction d’un nouveau dispositif pour les éducateurs, des éléments violents bruts sortant du groupe. Le nouveau directeur est issu du groupe des éducateurs ce qui va déstabiliser ce groupe, et la proposition d’un travail avec un intervenant extérieur pour les éducateurs afin d’élaborer l’accompagnement des enfants au groupe ,est mal vécue comme si les éducateurs étaient de mauvais parents et violemment refusée . Il faut souligner le travail important de D. Roffat dans cette institution (20 ans) , il a beaucoup réfléchi aux dispositifs de transformation pour traiter les sorties de groupe , et aux pratiques interstitielles (palabres par ex). Le nouveau dispositif proposé était il adéquat à ce moment précis ? L’important est de savoir que le cadre interne du thérapeute a continué de fonctionner, que le groupe a poursuivi son parcours, et que les enfants ont pu vraiment jouer quand ils sont sortis de l’impasse institutionnelle. Nous espérons que D. Roffat nous en dira plus une autre fois!!!
Un aspect de ce dispositif a pu être questionné et précisé à savoir la place de l’accompagnateur. Un éducateur accompagne les enfants pour leur séance dans un lieu spécifique éloigné des lieux de vie et les attend dans une salle d’attente adjacente. Ce travail est mis en valeur car sans lui la prise en charge ne serait pas possible. Il faut faire le lien ici avec la pathologie particulière des enfants , les limites du groupe sont très importantes mais aussi la question du trauma et les zones de passage à risque. Le risque et le clivage sont tout le temps présents.
Petite remarque personnelle:
On voit toute l’importance pour les thérapeutes de groupe de travailler ces situations difficiles dans des groupes de supervision, d’intervision ou de recherche.
2° Les groupes soignants-soignés
– Questions autour de l’articulation entre un groupe thérapeutique et l’hôpital de jour JEAN-JACQUES PONCELET
– Travail institutionnel et Groupe soignants soignés dans un foyer thérapeutique pour adolescents. BERNADETTE RATEL
Introduction théorique:
Je me propose de présenter un dispositif groupal existant au sein d’un foyer thérapeutique pour adolescents et réunissant l’équipe soignante et les adolescents accueillis. Outil essentiel du travail thérapeutique institutionnel, il s’inscrit dans un réseau de dispositifs qui inclue des entretiens individuels et familiaux ainsi que des séjours thérapeutiques pour les patients. Par ailleurs pour les soignants sont mis en place plusieurs réunions : une de synthèse qui évalue la progression de chaque adolescent, une clinique qui approfondit les problématiques relationnelles, et enfin une réunion institutionnelle qui tente d’élucider les difficultés au sein de l’équipe. Ce dispositif inspiré par le courant de la psychothérapie institutionnelle, cherche à favoriser les processus d’intégration, d’intériorisation, de liaison et d’élaboration des éléments non symbolisés mis en dépôt au sein de l’institution sous la forme du « transfert spatial ».
Ce groupe soignants-soignés va constituer un espace qui actualise et scénarise les difficultés institutionnelles, elles mêmes en relation avec celles des adolescents. Les liens d’interdépendance et de résonance entre patients et institution s’y déploient pleinement et potentialisent les manifestations psychopathologiques.
Comme le fait remarquer C. Matha (2012, p.56) « le groupe, faisant fonction de médiateur entre les patients et l’équipe soignante, serait à même de pouvoir remplir une fonction tierce de régulation et de transformation des processus de dé liaison, de destructivité, de dépression, de clivage et de confusion ». La présence d’un animateur qui peut prendre en compte la « chaîne associative groupale » au sein de la dynamique de groupe est alors essentielle, car celle-ci exprime les fantasmes et désirs qui circulent dans le groupe et, par rebond, dans l’institution.
C’est un groupe hebdomadaire qui réunit l’ensemble des adolescents et les différents membres de l’équipe soignante présents à l’heure du groupe. Le médecin n’y participe pas. Groupe semi-ouvert, du fait de l’arrivée en cours d’année de nouveaux adolescents et de la participation des stagiaires, qui interroge très vivement les rapports entre dedans/dehors, étanchéité/ perméabilité, et donc de séparation et d’individuation ; il dure 1 heure. Ce temps est particulier, puisque seul moment où les adolescents se trouvent réunis avec l’ensemble des soignants. Ce groupe permet donc aux adolescents de se faire une représentation de la globalité de l’équipe soignante et de son fonctionnement (organisationnel et affectif). Pour les soignants, c’est le moment pour saisir la dynamique groupale du groupe « adolescent ». La règle principale est l’association libre groupale (on pourrait dire institutionnelle) ce qui encourage l’expression de fantasmes dont on connaît l’importance à l’adolescence. Il faut remarquer qu’il y a une contrainte à la participation du côté des adolescents (elle est impossible à mettre en place pour les soignants). Cette obligation permet cependant aux adolescents, d’exprimer leur agressivité, déplacée sur le groupe, mais au delà, cette situation met à jour les processus projectifs ; en effet les adolescents prêtent des pensées et des intentions plus ou moins inquiétantes aux soignants.
C’est aussi le lieu où apparaissent clairement les liens et mêmes alliances (conscientes et inconscientes) entre les divers acteurs de l’institution.
D’autre part, par son caractère fixe et pérenne, ainsi que par la permanence du lieu, ce groupe assure un repère essentiel dans le cadre de la vie institutionnelle, particulièrement investi par les adolescents : ceux-ci s’installent parfois ½ h, voire 1h avant le début de la séance et les plus anciens ayant quitté le foyer peuvent rendre visite à l’heure du groupe et s’enquérir de sa permanence.
Le groupe sécurisant par l’installation de méta cadre (ou arrière-fond) va permettre de mettre en place des processus de répétition c’est à dire de reproduction des vécus traumatiques issus des éléments psychiques non symbolisés aux cours des histoires individuelles. Mais dans le même temps les impensés institutionnels sont aussi présents ce qui rend l’analyse quelquefois difficile.
Le lendemain lors de la réunion de synthèse hebdomadaire, la présentation du groupe de parole est le premier sujet de discussion inscrit à l’ordre du jour, ce qui permet à ceux des membres de l’équipe non présents à la séance d’être associés à l’évocation des ressentis et à l’établissement des liens avec la vie émotionnelle institutionnelle du moment. Ensemble, nous tentons de rassembler, dans ce temps d’après-coup, les éléments apparemment disjoints pour leur donner un sens (d’où l’importance d’une formation psychanalytique de l’animateur tant individuelle que groupale, mais aussi la nécessité de l’acceptation par l’équipe de ce type de fonctionnement, qui soulève souvent de grandes résistances).
La clinique nous montre plusieurs niveaux de fonctionnement :
– le groupe de pairs est à valoriser en ce temps de l’adolescence, des travaux (J-B. Chapelier, 2000) ont montré combien le groupe de pairs est une des sources principales de gratification et de soutien narcissique en particulier dans les moments d’illusion groupale, ce qui permet à l’adolescent de se dégager des liens aux parents œdipiens et de soutenir de nouvelles identifications.
– la réunion des deux groupes permet d’élaborer et de surmonter les moments intenses tant d’agressivité que de retour des angoisses de percussion.
– souvent l’organisation de ce groupe soignants-soignés renvoie aussi à un modèle de type familial. Cependant une famille particulière à géométrie variable qui convoque aussi bien l’indifférenciation, que des rappels à l’autorité. Les soignants eux même s’identifie à des patents dans leur double rôle : punir, materner ou s’inquiéter « on les accompagne un peu comme nos propres enfants ».
Je vais donner quelques exemples du contenu de ces groupes, pour ensuite m’attacher à décrire le parcours d’une adolescente, cherchant ainsi à comprendre les effets de ce groupe au niveau individuel et collectif et à montrer comment il n’est qu’un des maillons du dispositif institutionnel.
I : Le fonctionnement groupal et institutionnel :
Voici les 3 premières séances du groupe soignants-soignés auxquelles je participe 6 mois après mon arrivée dans le service :
Séance 1 :
Nous rappelons le cadre de temps (1 H), l’espace (le salon), les personnes présentes, le caractère obligatoire et la parole libre.
Il est fait allusion à l’absence du Docteur V. Un adolescent dit que la seule séance intéressante par le passé avait été celle où le Docteur V avait fait la dissertation de philo d’une ado. Puis se dégage le thème de la peur et du courage. Valentin prend le commandement du groupe et demande à chaque adolescent son avis sur la question. Je propose que les adultes aussi donnent leur avis: peur de l’inconnu, peur du vieillissement, peur de la mort, peur et défi de se poser la question du « courage extrême». J’ajoute peur de ce nouveau groupe et le courage serait de se soigner?
Clara associe sur une situation extrême qui serait de faire un enfant pour sauver un autre enfant qui serait en danger de mort: la discussion s’engage autour du désir d’enfant et je tente de glisser sur l’idée du désir de ce groupe. On a du mal à se quitter.
Commentaires:
Pour ma première séance de groupe, je sens une bonne entente du groupe des soignants qui ont participé sans crainte du risque d’indifférenciation groupale, montrant un plaisir à penser, et les ados, un besoin de ce temps de groupe même si ça fait peur de laisser venir ces questions si angoissantes à l’adolescence, la mort, l’amour, le désir avec peut-être inconsciemment la naissance d’un fantasme d’auto-engendrement puisqu’on pourrait faire un enfant pour en sauver un autre qui peut mourir et ainsi de penser ce groupe comme immortel. Les adolescents sans doute évoquaient par résonnance les désirs de séduction de l’équipe soignante vis à vis de la nouvelle psychologue…
Séance 2:
Le cadre de santé annonce qu’il ne sera pas là la semaine prochaine. Christine qui n’était pas là la semaine dernière est présente. Une question se dégage: « croit-on au coup de foudre? » Christine répond « oui », d’autres « non », Luc en propose une brillante définition. Puis nous rappelons que lundi prochain Christine ne sera plus au foyer, sa sortie étant prévue ce week-end. Elle dit qu’elle emportera des photos du groupe et qu’elle gardera des contacts avec certains. Véronique dit qu’elle partira sans rien garder, sans faire de fête, ne cherchant pas à faire allusion à ses longues hospitalisations et séparations d’avec sa famille. Elise, souffrant elle aussi d’anorexie sort en pleurant. Elle revient peu de temps après.
Commentaires:
Le début de cohésion groupale ressenti la semaine précédente est un peu mis à mal par l’annonce de l’absence prochaine d’un des adultes. Mais elle permet toutefois d’aborder des angoisses dépressives liées au départ prévu de plusieurs adolescents du groupe, Christine montre qu’elle pourra emmener une bonne institution introjectée, ce qui n’est pas encore le cas de Véronique qui est encore hostile à l’égard du groupe. Ce thème du départ évoque aussi celui de la précédente psychologue qui a quitté le foyer alors qu’elle était en conflit aigu avec le médecin et le coup de foudre pour la nouvelle.
Séance 3 :
Après un silence et des rapprochés ou alliances par 2 : chez les filles Carine et Lilas, chez les garçons: Thierry et Lu,
Carine veut parler d’un problème important: elle ne supporte plus que quelqu’un du groupe qu’elle ne nomme pas, la tienne à l’écart, l’ignore, la rejette. Il y a un silence puis Elise dit avoir vécu cela de la part d’Adrien, un adolescent qui a quitté les Trois Logis. Véronique s’allie à Elise. Une infirmière donne la parole à Clara (dont elle sait qu’elle est la jeune fille qui tient Carine à distance) mais celle-ci ne peut prendre la parole.
Je dis l’importance de pouvoir évoquer un conflit dans le groupe. Elise m’agresse.
Commentaires:
On observe là des couplages en défense contre l’angoisse que peut susciter le grand groupe, défense contre les angoisses paranoïaques dit Bion, mais aussi des couplages de deux ados de même sexe, ça m’évoque l’importance des relations homophiliques à l’adolescence, éloignant temporairement la dangerosité des désirs œdipiens. Lorsqu’Elise me remet à ma place, je pense à cette fonction de bouc-émissaire qu’il est préférable d’assigner à l’un des membres du groupe de soignants (plutôt même la psychologue) pour préserver le narcissisme du groupe des adolescents. Je pense qu’il y a à travers ces trois séances une scénarisation institutionnelle des conditions d’arrivée de la nouvelle psychologue et une mise à l’épreuve de celle-ci, l’ancienne n’avait pas supporté sa relation difficile avec le psychiatre et était partie.
A la séance suivante, c’est tout le groupe des infirmiers qui est attaqué pour la mauvaise organisation de la journée de l’Ascension le jeudi précédent, mais il est aussi question de définir ce qui est thérapeutique dans ce foyer.
Problématique ambivalente évoquant une contestation de l’existence même du foyer, mais aussi exprimant tous les espoirs que ce dernier contient : que va faire la nouvelle psychologue, question posée par les adolescents autant que par l’équipe soignante.
Le groupe soignants-soignés est porte-parole et en même temps conteneur des inquiétudes institutionnelles quant à l’arrivée de la nouvelle psychologue et à l’abandon du groupe par le psychiatre.
II : Cas individuel : Marine
Je vous propose de poursuivre le questionnement de ce fonctionnement institutionnel à partir d’une illustration clinique.
Marine, 15 ans est hospitalisée pour anorexie mentale sévère. La première année est marquée par une aggravation de son état la conduisant à des allers-retours entre différents services, pédiatrie, réanimation, pédopsychiatrie….Puis, c’est à la fin de cette première année, le contact ayant toujours été maintenu avec elle par les adolescents et les soignants, qu’elle peut réintégrer le foyer. Nous allons suivre son évolution pendant cette deuxième année, selon 3 phases :
-la dé liaison pulsionnelle qui à l’adolescence est à mettre en lien avec les transformations pubertaires, la résurgence des angoisses archaïques, la menace identitaire et les remaniements instanciels.
-les remaniements narcissiques et objectaux, fruit du travail du groupe.
-le temps de reliaison favorisé par les entretiens individuels.
1/ la dé liaison pulsionnelle
Séance 1
On est en période de rentrée scolaire. On a d’un côté les anciens, de l’autre les nouveaux. Une certaine agressivité règne entre eux.
Le groupe commence par l’annonce de l’absence d’une des adolescentes (hospitalisée en pédiatrie à la suite d’une TS. Certains adolescents s’inquiètent de ce qui lui arrive. Céline également, dimanche soir, alors qu’elle rentrait en voiture avec son frère a fait une «TS» en buvant un sédatif qu’elle a dérobé à sa mère. De plus, Marine tente de se pendre ces derniers temps, événement que tous les adolescents connaissent. Les adolescents sont très agités.
La mort est alors évoquée. Le groupe exprime que l’atmosphère qui règne en ce moment dans le foyer est «morbide». Un adolescent s’exclame à voix haute: «ça pue la mort ici !». Un autre dira que « … les trois logis, c’est mortel l», ce à quoi le premier répondra «non c’est post mortem». Ils expliquent que pour eux la vie dans cette unité, c’est «TS sur TS» et qu’aujourd’hui «à force de jouer et d’être proche de la mort on s’y habitue». A ces paroles, un garçon répond que ce sont les conditions de vie qui amènent les gens à faire des tentatives de suicide.
Cette séance de groupe fut très angoissante pour Marine, elle ne prend pas la parole, et se ronge les ongles. Durant cette période, Marine était perçue par l’ensemble des adolescents comme une de celles qui contribue à créer cette ambiance morbide. Elle fut comme exclue du groupe pendant ces premières séances.
En début de séance, l’annonce de l’absence d’une adolescente a contribué à modifier le cadre du groupe et donc à engendrer de l’angoisse. Ce genre de situation crée souvent dans le groupe une agitation motrice ou des défenses maniaques, mais dans cette séance, l’agitation laisse plutôt place à une verbalisation autour des TS et du mal-être groupal.
Marine est plus ou moins ouvertement désignée par le groupe comme étant l’une des principales responsables de ce malaise. Elle parle peu dans le groupe. Elle est comme assignée par le groupe au rôle de récepteur des projections agressives et persécutives. Elle se sent exclue, mais aussi protégée de cette tentative d’indifférenciation groupale «dans la mort».
Une deuxième séance de groupe peut illustrer le caractère indifférenciant de cette période groupale.
Séance 2
Un séjour pendant les vacances de la Toussaint a été organisé, et tous les adolescents y ont participé à l’exception de deux adolescents, Robert dont le projet préprofessionnel semblait plus intéressant pour lui, et Marine. L’équipe soignante avait pris la décision de ne pas l’emmener en séjour étant donné ses multiples tentatives de pendaison.
Au cours de cette séance, l’ensemble des adolescents s’accorde pour dire que ce voyage a permis de réunir les nouveaux adolescents et les anciens, ils ont pu faire connaissance. Mais cet avis n’est pas partagé par un adolescent (hospitalisé depuis trois ans), qui lui semble plutôt dire que parce qu’il y avait deux absents alors «ça a faussé les donnés du problème». Assez irrité, il nous explique que «il y a des choses qui se passent pendant le séjour, et là les données ont été faussées». Au retour du séjour, il a ressenti comme «deux corps étrangers» dit-il, il se reprend en s’excusant auprès des deux adolescents concernés et ajoute «c’est comme une réaction chimique, pour que ça marche il faut qu’il y ait toutes les substances nécessaires». A cette intervention, Robert répond qu’il ne regrette pas son absence au séjour, car cela lui a permis de découvrir autre chose.
Mais il en est tout autrement pour Marine, celle-ci nous dit : «je regrette d’avoir été absente du séjour », « si je ne suis pas venue, c’est parce que Mr V… (Psychiatre de l’unité) ne voulait pas que je fasse des bêtises devant les autres».
Marine est triste, elle ne regarde plus personne dans le groupe, elle semble s’isoler. Céline, adolescente plus âgée avec laquelle Marine noue une certaine amitié en ce début d’année, à ce moment-là, cherche en faisant des mimiques à attirer son attention et à la distraire.
Le lundi d’après, Marine n’intervient pas pendant le groupe. L’absence de trois adolescents dont Céline partie en fugue, semble l’affecter.
Dans cette séance, ce ne sont pas les adultes qui sont mis hors du groupe, mais bien Marine dont la position de bouc émissaire va être limitante pour le groupe du fait des projections agressives qui lui sont adressées. Mais elle dit qu’elle aurait aimé participer au groupe, peut être hésite-t-elle entre son désir d’indifférenciation qui lui permettrait d’être dans le groupe et de se confronter au narcissisme de ses membres, et le maintien d’une différenciation par le passage à l’acte suicidaire.
Voyons maintenant un entretien avec Marine qui suit ces séances de groupe.
Entretien :
Aux métamorphoses corporelles dues à la puberté, s’ajoutent chez Marine les effets d’une reprise alimentaire suite à son anorexie. La naissance de ce corps féminin n’a pas été évoquée lors du précédent entretien, où au contraire elle se remémorait presque avec nostalgie ses diverses hospitalisations. Marine répétait les choses inlassablement, comme on répète un vécu traumatique, sans parvenir à en sortir. Son discours changeait peu.
Lors de cet entretien, Marine aborde le sujet de ses tentatives de pendaisons qui sont plus douloureuses pour ses parents que pour elle. Ce week-end, elle dit avoir pris six cachets de Risperdal, elle envisageait en plus de boire du Tercian, mais ses parents l’ont surprise dans la salle de bain. Si elle a pris ces médicaments c’est, nous raconte-t-elle, parce qu’elle avait envie de se reposer, elle se sentait très fatiguée et pleines de pensées, de questions qui l’envahissaient «J’étais fatiguée» répète-t-elle. Marine, ajoute que les médicaments qu’elle a pris sont des neuroleptiques, puis elle demande «ça sert à quoi les neuroleptiques ?». Elle nous dit ensuite que la nuit elle n’arrive pas à dormir, elle se pose plein de questions, et ces médicaments dit-elle: «me permettent de fermer les yeux». Dans cet entretien, on peut parler de mise en mots (et non de sens) de ses actes. Elle parle de ses parents et probablement du danger d’être mêlée au corps maternel.
Par la mise en mots, le Moi commence-t-il à décrocher une victoire face aux exigences pulsionnelles. Va-t-elle trouver un objet extérieur, dans le transfert, qui puisse transformer ses excès pulsionnels ou va-t-elle continuer à agir violemment sur son corps? Après avoir été gravement anorexique, elle répète des tentatives de pendaison, puis prend des médicaments, puis se scarifie et fugue.
Pour F. Ladame, le mouvement projectif que représente la TS donne au corps réel « un statut paradoxal ». Le corps est vécu comme lui appartenant et comme étranger. Les attaques sont dirigées vers le corps étranger.
2/Evolution du travail groupal et remaniements narcissiques et objectaux.
Une séance de groupe:
Certains adolescents occupent leur siège habituel depuis un bon moment dans la salle où le groupe a lieu, ils s’impatientent de voir la séance commencer.
Le cadre de santé, comme à son habitude, commence le groupe en annonçant quelques nouvelles, notamment la venue de deux stagiaires infirmières dans le courant du mois. Les adolescents ne sont pas vraiment réjouis à l’idée de voir des étudiantes aller venir, ici c’est leur foyer. Comme si elles étaient des persécutrices, qui venaient telles des voyeuristes, voir comment ça se passe. La discussion évolue sur une remarque de Rémy qui a l’impression d’être considéré comme un serviteur des infirmiers. Julien ajoute qu’il est du même avis que lui, il a l’impression d’être considéré comme du bétail, que les infirmiers s’occupent du groupe sans prêter attention aux désirs individuels. Alexandre dit aux soignants qu’ils ne sont là «que pour le fric et qu’ils n’en ont rien à foutre des adolescents».
Marine profite de l’occasion pour donner l’exemple de ce week-end, lorsqu’un infirmier les a forcés à aller voir le film que lui avait choisi. L’infirmier en cause est présent. Marine cria «tu vois c’est toujours toi qui décide, faut toujours faire comme toi t’as envie ; oh pis tu m’énerves, j’en ai marre de toi !» Marine est dans tous ses états.
Les autres adolescents voyant que Marine ose s’emporter vivement, profitent de l’occasion pour faire des reproches concernant la manière dont cet infirmier se comporte avec eux. Marine donne comme exemple, l’attitude d’une infirmière qui les laisse choisir l’activité qu’ils veulent le week-end. Une atmosphère assez euphorique se met en place jusqu’à la fin de la séance.
Marine n’est plus « le bouc émissaire », mais ce sont ces stagiaires venus de l’extérieur qui vont venir mettre en danger l’enveloppe groupale qui cherche à s’unifier.
Marine s’est intégrée au groupe et se fait le porte-parole de la haine à projeter sur un infirmier qui se trouve être dans une position proche puisqu’il est son infirmier référent. Les ados reprochent aux infirmiers de les traiter de manière indifférenciée «comme des bêtes». Ce moment de l’illusion groupale surmonte les moments de menace identitaire, par l’instauration d’un narcissisme groupal qui protège le narcissisme individuel.
Les ados en prenant la parole à tour de rôle visent à investir libidinalement le groupe et à renforcer la toute-puissance narcissique du groupe.
Marine utilise maintenant plus le groupe que son corps pour décharger les excès pulsionnels.
Séance:
Au cours des précédentes séances, cette tendance à projeter de l’agressivité, des reproches aux soignants, continuait.
Un soir, certains membres du groupe s’étaient alcoolisés à l’extérieur du foyer; deux adolescentes dont Marine ont dû être hospitalisées aux urgences. Une panique a envahi alors le foyer.
Cette séance permet de rendre compte du caractère transgressif que peut engendrer ce temps de l’illusion groupale. Le bon groupe a plaisir à faire groupe. Il se sent fort, invincible. La transgression de l’interdit de boire de l’alcool procure aux ados un renforcement narcissique.
Le groupe qui sort de l’institution pour aller boire enrichit son sentiment d’illusion groupale et dans cette aventure va se renforcer pour Marine sa relation homophilique à Céline, l’autre ado hospitalisée aux urgences comme elle ce soir-là. Cet incident déprime pendant un certain temps l’ensemble des membres du groupe, mais ce moment d’illusion n’est-il pas un médiateur au travail de pensée des adolescents.
Entretien : Voyons maintenant comment Marine a vécu cela de l’intérieur:
L’entretien commence par un silence, alors que Marine bougeait sur son siège en tentant de trouver une position convenable, d’une voix coléreuse, elle dit «on ne soigne rien ici, depuis le mois de décembre, j’ai mal au dos et on ne me fait rien ! Ils sont incapables de donner ma radio à la pédiatre, c’est nul! Ça m’énerve l». Elle ajoute que «c’est tous des cons ici, le pire c’est Mr … (psychiatre de l’institution) faut voir comment il a traité Céline l’autre jour !». Nous soulignons à Marine l’attachement qu’elle semble avoir pour cette amie, sans perdre une seconde, elle riposte: «rien ne nous séparera, on « jartera » Hélène et Amandine (deux adolescentes qui partagent les chambres avec elles deux) ».
Un silence s’installe ; puis Marine parle de ses vacances au ski avec sa famille. Elle fut malade pendant toute la semaine, nous raconte-t-elle. Nous profitons de l’occasion, pour lui dire que ses parents ont du alors s’occuper plus d’elle. Mais il n’en est rien, d’une voix haineuse, elle réplique: «sûrement pas, ils skiaient avec les autres, seul mon grand frère s’occupait de moi». Il s’agit donc d’une fratrie de cinq enfants, Marine est la troisième. Le deuxième enfant est un garçon que ses parents ont adopté. Marine nous fait remarquer que tous ses frères et sœurs portent des prénoms de saints, et que sa mère a même changé le prénom de son frère adopté. Pour chacun d’entre eux, sa mère possède la statuette de chaque saint. Marine dit que «la pire sainte, c’est moi, la sainte vierge, sauf que je ne suis pas vierge !» dit-elle en riant. Suite à notre demande concernant l’histoire de cette adoption, Marine nous raconte que son frère a été adopté à l’âge de trois mois, pendant qu’elle était dans le ventre de sa mère, enceinte de deux mois.
A cette époque, il est dit dans l’équipe que Marine est insupportable, alors qu’elle s’intègre au groupe des adolescents. Elle exprime ses attaques directes contre les infirmiers qui ensuite se déplacent sur ses parents. Marine projette son agressivité à l’égard des objets infantiles et on perçoit parallèlement cette forte identification à cette autre adolescente, investie comme un autre objet libidinal, écartant temporairement les objets infantiles.
L’idéal du Moi parental est dévalorisé, la libido va s’attacher à un idéal du Moi extérieur en la personne de Céline, avec un début d’introjection d’une certaine féminité et en même temps, crainte de la sexualité. C’est certainement cette période d’illusion groupale et un investissement homophilique d’une autre semblable qui permettent à Marine une récupération du narcissisme individuel sur un mode spéculaire et gémellaire. D. Marcelli parle « d’identification narcissique» déplacé du groupe vers l’amie.
Un autre entretien individuel:
Est présente dans l’institution pendant quelques jours d’essais une adolescente anorexique. A son propos, Marine d’un ton haineux, dit que «c’était trop insupportable de la voir !».
Puis, elle affirme «quand je n’irai pas bien, maintenant je demanderai à manger dans la cuisine, plutôt que de fuguer ». En effet, Marine a fugué durant la venue de l’adolescente anorexique. Pendant ces quelques jours, elle raconte que toute l’équipe s’occupait plus de la nouvelle et faisait souvent des parallèles avec sa situation passée ; mais s’écrit-elle : «Sophie, elle n’est pas comme moi quand j’étais malade, elle mange de tout, en petite portion, mais elle mange de tout. Alors que moi, je ne mangeais que des légumes. Elle s’en sortira toute seule, c’est sûr ».
Très vite, Marine s’empresse de revenir sur la conversation de la semaine dernière portant sur l’histoire de sa maladie et son parcours dans les institutions. Comme à son habitude, elle s’attache à décrire en détails tous les souvenirs qu’elle a, et finit par dire que c’est sa pédiatre qui l’a sauvée parce qu’elle lui a fait confiance et ne la forçait pas à manger. Marine raconte à quel point elle a dû réapprendre, «comme un bébé» le goût des aliments car pendant son anorexie, elle ne différenciait pas le sucré du salé. Elle a dû également réapprendre à marcher, car «je ne savais plus que pour marcher, il fallait mettre un pied devant l’autre». Marine ajoute qu’elle était pleine de bleus, car les infirmières la piquaient sans arrêt, regardant ses avant-bras, elle dit « maintenant je n’ai plus rien ». Elle ajoute « je ne me reconnaissais plus, j’étais plus moi, j’ai dû réapprendre à tout faire ». Nous ajoutons: « tu as dû réapprendre à être Marine C ». (Énonciation de son nom de famille devant elle pour la première fois). Là d’une manière haineuse, elle cria: « non, je suis Marine, c’est tout, pas Marine C. » (prononce son nom de famille !) . A cette intervention, nous ajoutons «il existe plusieurs filles qui s’appellent Marine, mais sûrement qu’une qui porte le même nom et prénom». Avec cette même attitude haineuse, elle répond de nouveau : «Non je suis que Marine, on m’appelle et je m’appelle Marine !». A cette époque, Marine reprenait du poids, sa présentation devenait très féminine. Elle est perturbée par l’arrivée d’une nouvelle ado anorexique, on voit bien la fragilité narcissique dans laquelle elle se trouve encore; mais elle commence le récit de sa maladie, centrant la libido sur elle, se distinguant des autres, et distinguant les personnes dont elle cherche les soins individuels, comme la pédiatre qui lui a sauvé la vie. Elle parle de son corps de bébé (son poids est descendu à 23 kg, de ses souffrances) et la lente transformation de celui-ci avec des phrases qui peuvent s’appliquer au corps, mais aussi à la psyché, « le goût» des aliments ou de la vie « apprendre à marcher, mettre un pied devant l’autre », second processus de séparation-individuation de Blos « J’étais plus moi (enfant)», « réapprendre à faire» ou « être», il lui est suggéré être la fille de son père .La réappropriation du patronyme réengendre le conflit interne.
3/Dernier temps de re-liaison pulsionnelle:
Laplanche et Pontalis proposent cette définition de l’union des pulsions dans leur vocabulaire de la psychanalyse : « un véritable mélange où chacun des deux composants (pulsion de vie et pulsion de mort) peut entrer dans des proportions variables ».
Le groupe étant un environnement qui soutient le processus d’adolescence, il lie les membres dans un sentiment d’unité; on partage une identité groupale et chaque membre conserve quelque chose en commun.
Une réorganisation des identifications va se faire, chacun se voit reflété dans les interactions d’autres membres du groupe.
Séance:
Marine est triste, les soignants ont voulu aborder la fugue pendant deux jours de deux adolescents : Marine et son petit ami hospitalisé dans l’unité également. Chacun au départ avait fugué de son côté, mais «on s’est retrouvé par hasard» nous apprend Marine. Ce matin de la fugue, Marine nous explique qu’un des infirmiers l’a forcée à aller en cours alors qu’elle n’avait pas envie, elle s’est enfuie du collège et nous dit « je n’ai pas réfléchi, je suis partie sur un coup de tête. En fait, j’avais beaucoup de choses dans ma tête, et j’avais envie de prendre l’air car sinon ça explose. Alors au lieu de faire du mal à quelqu’un ou à moi, je préfère partir». L’adolescent qui avait également fugué se mit en colère, car il pense que les infirmiers disent que c’est lui qui aurait incité Marine à fuguer. Un conflit verbal s’installe. Marine écoute attentivement.
Le cadre de santé propose que l’on mette des barreaux aux fenêtres des chambres pour que les adolescents ne s’enfuient pas. Marine, la première réagit très fortement à cette mesure, et crie «je ne veux pas qu’il y ait des barreaux à mes fenêtres, on n’est pas en prison ici» et elle murmure à l’oreille d’un infirmier assis à côté d’elle: «on n’est pas des fous quand même». A la question du cadre soignant «est-ce que, quelque part, vous ne fuguez pas pour mieux apprécier ensuite, à votre retour l’unité; et pour voir si on s’inquiète pour vous ?» Marine réplique : «non mais n’importe quoi, comme si on avait que ça à faire, de vous faire chier, de provoquer chez vous de l’inquiétude, t’as tout faux, t’es pas le nombril du monde, on a d’autres préoccupations dans notre vie, y a pas que toi »
Puis Marine nous explique ce qu’elle entend par «prendre l’air» : «Quand j’étais dans la rue, il a fallu que je me débrouille pour me trouver à manger, trouver un endroit où dormir, et c’était loin d’être évident», A cette réplique, on demande à Marine si quelque part elle n’avait pas envie à travers cette fugue de se prouver qu’elle peut subvenir à ses besoins seule sans l’aide des adultes. Marine semble être d’accord avec cette proposition, elle a envie d’acquérir une certaine autonomie, qu’ «on lui fasse confiance» explique-t-elle. Il n’empêche que cette fugue et surtout cette nuit passée dehors a beaucoup inquiété les soignants et ses parents. Marine en rigolant dit «ma mère, elle ne s’inquiète plus, elle est dépassée! Alors elle passe son temps à prier maintenant». Ce regard critique que Marine pose sur sa mère, fait sourire les participants du groupe. Mais Marine nous dit qu’elle a éprouvé une certaine culpabilité face aux soucis qu’elle a pu provoquer chez ses proches et les soignants, «mais ce n’est pas ce que je recherchais, leur faire du mal» nous révèle-t- elle. «Cette fugue, c’était le seul moyen de m’en sortir et de prendre l’air». Une discussion s’installe sur le thème de la fugue.
Selon Freud, l’adolescence doit aboutir à une relation objectale génitalisée, ce qui sous entend réaliser le processus de séparation-individuation.
Cette relation de Marine avec un jeune homme de l’institution est une manière de rechercher une nouvelle unité mais hors du groupe ; cette relation qu’Anzieu appelle «illusion duelle ou gémellaire» ou J-B. Chapelier (2000) «scènes homogénérationnelles» permet de dépasser le fantasme d’auto-engendrement. Mais Marine a encore besoin de recourir à la fugue ; c’est dans le réel et pas encore au niveau intrapsychique qu’elle a besoin d’éprouver son désir d’indépendance d’un point de vue groupal. Il y a ici une possibilité de re-différenciation car Marine évoque sa problématique individuelle, mais le couple devient porte parole du désir de l’ensemble des adolescents de former un couple homogénérationnel (qui fait sortir de la groupalité adolescente) mais on ne peut pas non plus exclure d’être à nouveau devant un couplage tel que Bion le définit. Mais l’entretien avec Marine va préciser cette question.
Entretien qui suit cette séance de groupe:
Marine nous raconte comment chez elle, pendant les vacances de Pâques, ses parents ne la laissaient pas sortir comme elle voulait, elle était sous surveillance d’une nourrice comme les plus jeunes enfants de la famille. Furieuse, Marine pour la première fois avoue qu’elle se sent mieux au foyer, car les infirmiers lui font plus confiance que ses parents. Au cours de l’entretien, elle nous annonce qu’elle a un nouveau petit ami, sans avoir quitté le précédent. Marine semble ravie de jouer sur ce double terrain de la séduction, en suscitant de la jalousie chez ces deux garçons.
Après ce moment d’excitation, Marine aborde le prochain départ de son nouveau copain, qui va vivre seul en appartement. Elle ajoute, que tous les gens intéressant du foyer vont partir, et que l’ambiance avec les nouveaux ne sera pas la même. Le meilleur groupe qu’elle ait connu, était celui de l’année dernière, elle est restée en contact avec plusieurs adolescents, chose qu’elle ne fera pas cette année avec les adolescents du foyer. Seule une relation sera maintenue avec Céline. Ceci la conduit à dire qu’elle voudrait elle aussi vivre seule dans un appartement. Il y a quelques mois, elle voulait à tout prix rentrer chez elle, retourner vivre avec ses parents. Maintenant il n’en est rien. Au contraire, elle préfèrerait se séparer d’eux. Pour elle, ils privilégient certains de leurs enfants au profit d’autres. Triste, Marine nous avoue que les moins privilégiés seraient son grand frère (adopté) et elle.
D’un ton plus agressif, elle associe sur son refus d’aller en cours cet après-midi. Le collège ne lui plaît plus, elle préfère être avec des personnes plus âgées qu’elle, comme ses amis du foyer.
Marine émet des critiques quant à ses parents, elle trouve en son lieu d’hospitalisation une atmosphère favorable à son épanouissement. Elle parle d’un objet d’amour très investi et elle est de fait devenue une très jolie jeune fille comme si sa féminité s’est construite en parallèle à l’émergence de ses pensées propres.
Résumé de deux séances de groupe à l’approche de la fin de l’année.
Les adolescents sont à la fois excités et déprimés ce soir-là. Des moments d’euphorie laissent place parfois à des silences angoissants. Les deux adolescentes anorexiques dont Marine rient beaucoup. Après le départ de l’adolescente anorexique, «je serai une ancienne parmi les filles» dit Marine. Les adolescents ont des propos agressifs envers les adultes ils évoquent leurs fautes. Un adolescent suggère lors d’une de ces séances de délivrer une note pour la qualité du travail des infirmiers. Cette idée parut cruelle à un des adolescents, Marine dit «mais c’est justement la cruauté, le sadisme qui sont plus marrants». Sa haine envers les infirmiers ré-émerge. Elle reproche aux infirmiers d’avoir fait «un grand ménage de printemps cette année», pour elle tous les départs ont été déstabilisants.
En cette fin d’année qui provoque une modification du groupe, on observe des phénomènes groupaux quasi identiques à ceux du début. Haine, projection ; le groupe contient une part de l’Idéal du Moi de chacun. Le départ de certains adolescents procure un sentiment de perte du Moi individuel investi dans le groupe. Le thème de la haine et de la cruauté et la reprise de certains « agir » viennent anéantir les pensées dépressives, temporairement.
Entretien :
Sa relation d’amitié avec Céline semble ne plus être la même, «elle n’est plus aussi fusionnelle» dit-elle d’une triste voix et cela semble la chagriner beaucoup. Marine nous raconte qu’elle est partie en fugue cette semaine car, elle étouffait, elle avait envie de prendre l’air simplement. Elle ne veut pas jouer avec les garçons, mais je cite «sans me vanter, j’ai l’impression que j’attire les garçons, je dois leur plaire» dit-elle d’un ton triste.
«C’est trop lourd à porter, et j’ai trop changé cette année», nous dit-elle furieusement. Elle se trouve grosse et c’est pour cela qu’elle se fait vomir. Ce qui la gêne le plus, c’est son gros ventre. Pendant tout l’entretien, Marine avait son ventre qui gargouillait, elle avait faim car elle ne mange plus le matin. Pour qu’il cesse de faire du bruit, elle se tapait le ventre ou bien prenait une pointe et l’enfonçait dans son lit.
Marine explique que son corps a changé cette année, que dans sa tête elle ressent des choses qu’elle n’a jamais encore éprouvées ; et à côté de tout ça, chez elle ce n’est pas toujours tout rose et elle ajoute : «je me demande qui est la folle parfois, moi ou mes parents ?» Elle n’a qu’une envie, c’est de vivre seule. Là, elle associe en nous disant: «j’aimerai bien être un oiseau, pour m’envoler! Une colombe ! Tiens d’ailleurs mon père l’autre jour il a secouru une colombe qui s’était posée sur le rebord du balcon de la chambre de mes parents. Elle avait une aile d’abîmée, mon père l’a soignée, et il l’a nourri. Et puis au bout de quelques jours, elle a repris son envol. Elle a volé de ses propres ailes! Et depuis elle revient sur le balcon nous rendre visite, je sais que c’est la même colombe, je la reconnais !» Marine avait un regard évasif, elle regardait le ciel par la fenêtre, elle était prise dans ses pensées.
L’investissement sur l’objet génitalisé conduit Marine à se détacher de ses liens homophiliques qu’elle entretenait avec Céline. L’homophilie évolue naturellement vers une relation hétérosexuelle. Cette transformation s’accompagne d’une phase dépressive, mais structurante, permettant à la pulsion de s’intriquer et de dépasser le sentiment de haine. Mais la reprise des conduites narcissiques telles que se faire vomir montre la difficulté de ses réinvestissements objectaux génitalisés puisque les liens œdipiens sont aussi sur le devant de la scène. C’est cet aller et retour entre l’objet amoureux et l’objet œdipien qui constitue «le pubertaire» de Gutton.
Dans ce beau récit de la colombe, il y a le père et un oiseau blessé dans une relation de proximité et de soins, des désirs œdipiens, une angoisse de castration et une institution dans un transfert paternel qui peut la soigner encore, tout en l’aidant à prendre son envol.
A cette époque, elle pouvait raconter des rêves, après des cauchemars d’une époque antérieure. Elle avait « autrefois» raconté le cauchemar suivant: « elle rentre chez elle, toute sa famille a été assassinée et elle a très peur car l’assassin est encore dans la maison, peut-être au sous-sol », je l’ai reçu comme une première représentation de cette scène onirique de ses pulsions meurtrières impensables enfouies dans le sous-sol de son inconscient et qu’elle retourne contre elle.
Au moment du récit de la colombe, elle fait le rêve suivant: « elle est dans un lit double et il y a un oreiller rose et un oreiller à fleur» un lit conjugal avec la place d’un homme et d’une femme ou lit double où on y met les jumeaux puisqu’elle est quasi jumelle avec son frère adoptif, œdipe compliqué.
Après ce parcours de soins institutionnels, ne se prépare-t-elle pas à un travail psychanalytique individuel ?
Exprimant tous les espoirs que ce dernier contient : que va faire la nouvelle psychologue, question posée par les adolescents autant que par l’équipe soignante. ? Le groupe soignants-soignés est porte-parole et en même temps conteneur des inquiétudes institutionnelles quant à l’arrivée de la nouvelle psychologue et à l’abandon du groupe par le psychiatre.
Discussion (P. LAURENT) :
Des questions précisent le fonctionnement de ce groupe et beaucoup de thèmes sont évoqués. Je n’en retiendrai que quelques uns :
Le groupe est remarqué comme lieu de recueil des acting des ado (fugues, TS,), leur mise en mots, lieu d’énonciation des reproches, critiques à l’encontre des uns et des autres mais aussi lieu d’énonciation du « bon » entre les uns et les autres. La violence traverse ce groupe mais le groupe y résiste et, sans doute, aide-t-il l’institution à y résister, la consolidant dans son rôle thérapeutique.
L’illusion groupale est questionnée : est-elle groupale vraiment ou plus générationnelle ? Tout dépend des moments répond B. Ratel, il y a aussi une illusion groupale, quand les soignants eux-mêmes évoquent certains moments de leur propre adolescence, quand aussi elle se sent seule dans ce groupe soignants-soignés (à devoir supporter les retards ou absences tant des uns que des autres… Elle note aussi le plaisir éprouvé par les ados. à entendre les soignants parler entre eux.
L’absence voulue du médecin chef dans ce groupe aide-t-elle à le mettre en position tierce ? Cependant, il n’est pas « coupé »/clivé de ce dispositif : il participe à la réunion du lendemain où se reprend et se perlabore ce qui c’est dit dans le groupe. Le groupe est très « articulé » à la vie institutionnelle qui forme l’arrière-fond (au moins en partie) de la matière psychique du groupe (ce qui rejoint l’intervention de D. Roffat et la discussion qui s’en est suivie.
REGROUPEMENT 7-8 MARS 2015
Samedi 7 Mars :
Recours aux métas cadres comme régulation des angoisses dans les groupes d’adolescents. JEAN-BERNARD CHAPELIER
Discussion : Après un riche exposé la discussion s’oriente autour
– Des liens entre le concept d’arrière-fond selon Grostein (repris par G .Haag) et les éléments architecturaux de la formation de l’image corporelle
– du corps, au-delà de la métaphore, comme extension du narcissisme individuel au narcissisme groupal. Cette métaphore des sujets comme différents membres du groupe ne vient qu’après la construction de l’enveloppe (et du fond).
– des méta-cadres selon R. Kaës qui seraient à différencier de l’arrière-fond…
Dimanche 8 mars :
– Projection vidéo de séances de groupe d’enfants.
Discussion : La vidéo d’une première séance d’une psychothérapie de groupe d’enfants, nous montre bien comment se mettent en place les différents niveaux de pensée : l’émergence des premières angoisses, silence, rationalisations, avancée et recul dans l’expression du fantasme de dévoration avec ses deux faces – désir d’être aimé, aspiré et crainte d’être avalé, absorbé. Nous remarquons le rythme assez lent du thérapeute, laissant place aux silences, sa voix, relançant l’expression avec douceur et interrogation, son attention portée à chaque enfant. Pour certains l’interprétation du transfert sur le thérapeute (la peur que les enfants pourraient en avoir) paraît rapide, pour d’autres elle est nécessaire à ce moment-là, favorisant un premier rassemblement des enfants « contre » lui, prémices à la construction de l’ensemble groupal (premier sous-groupe). Nous avons aussi remarqué les expressions corporelles de ces mouvements psychiques : resserrement/éloignement des enfants autour de la table ; agrippement au stylo bien planté sur la table (il y a une grande feuille sur la table et les enfants ont chacun un stylo) ; boutonnage/déboutonnage des vestes ; épluchages des pulls ; mouvements des pieds qui tapent le sol, des mains, appui-dos sur la chaise, avachissement, redressement…
La place de la caméra est interrogée : les enfants la regardent souvent, le thérapeute reprend ce qui est dit parfois de façon inaudible pour la caméra. Une discussion où chacun a pu retrouver des situations bien connues, s’interroger sur le style du thérapeute, laissant plus ou moins de silence donc plus ou moins de place à la régression, orientant l’interprétation plus sur le thérapeute ou plus sur le groupe et sur les effets de ce style sur la construction du groupe en tant que médiation définie (analytique, psychothérapique, thérapeutique (ce qui sera précisé dans la discussion suivante).
– Questions sur les médiations dans les groupes. DIDIER CHAULET
– Ce que je vais proposer, comme mon titre l’indique, ce n’est pas une définition sur ce qui serait la place et la fonction des médiations dans les groupes thérapeutiques. Je vais simplement faire un certain nombre de remarques concernant l’utilisation des médiations, pour ensuite entendre la position des uns et des autres sur cette notion, qui il faut le redire peut apparaitre un peu fourre tout, du fait même que c’est une notion d’emprunt, importée d’autres champs que celui de notre pratique
Rappeler que dans tous les groupes, et pour chacun des participants, il y a d’abord la médiation du langage. Donc, il y a toujours cette médiation de la parole qui consiste à se représenter soi-même dans un discours, avec des représentations de mots.
Mais cette notion de médiation, je vais la prendre dans son acception la plus courante qui désigne donc l’utilisation pendant la séance d’une activité comportant une dimension de jeu ou de création comme par exemple la pate à modeler, le dessin, la mise en scène d’une fiction, etc…
Pourquoi introduire pendant la séance ce type d’activité ?
Une des réponses habituelles, c’est de souligner comment ce recours vient assurer une fonction de suppléance. Puisque ces objets médiateurs ou ces méthodes médiatrices sont proposés pour palier aux défauts ou aux limitations du fonctionnement des associations verbales (soit parce que la parole est manquante pour exprimer ce que l’on est en train de vivre, soit que les mots prononcés apparaissent trop chargés d’affects et de sensations, sans qu’on puisse vraiment les comprendre. Autrement dit dans tout ces cas où la parole reste muette, ou bien quand elle est jetée à la figure des autres de telle façon qu’on ne peut plus s’entendre et s’écouter, qu’on ne peut plus penser quelque chose de son monde intérieur en même temps qu’on s’adresser aux autres). Alors en quoi consiste cette suppléance ; à offrir des supports de figurations, capable de faire passer ce qu’on ressent, capable de faire passer le pulsionnel par une forme, on peut dire aussi des inducteurs capables de faire passer du registre perceptif au figurable, pour ouvrir sur la possibilité d’un espace de représentation en libérant ou en contenant ainsi les productions imaginaires. Pour les dispositifs de groupe, on peut dire que la médiation va offrir des attracteurs, tout en installant ainsi un espace tiers qui deviendra aussi un moment commun à tous, où chacun y portera quelque chose de son imagination, y adressera ses sentiments comme autant de messages qui pourront circuler avec cette mise en forme dans le registre associatif. Un espace tiers, un espace collectif de jeu qui viendra également (c’est un point sur lequel il faudra revenir) dégager les enfants d’une relation immédiate, éventuellement trop forte avec le thérapeute.
Mais dans cette version de l’utilisation des médiations, il y a plus ou moins l’idée d’un recours par défaut, d’un mode d’expression un peu dévalué par rapport à la sophistication du langage et aux possibilités de symbolisation spécifique qu’offrirait la parole (question : est-ce qu’on ne peut produire un travail d’élaboration que par le biais des représentations de mots ?). Une idée qui transparait même quelquefois dans l’énoncé de la consigne dans une formulation qui peut avoir des connotations négatives » quand vous n’arriverez plus à parler, vous pourrez dessiner ! » lui donnant ainsi le statut d’une sous production aux yeux du thérapeute….
Pourtant il faut rappeler la complexité qui est attachée à une activité comme le dessin par exemple, en soulignant les caractéristiques de cet investissement, en particulier si on examine ce qui se passe pour un enfant à qui on donne la possibilité de faire un dessin, dans ce moment d’application où son attention est la plus forte.
Ce qui se passe d’abord, c’est que dans le même temps où lui vient une représentation mentale, il la figure sur sa feuille de papier (au passage, on peut rappeler que ces représentation qui habitent le psychisme de l’enfant, se construisent d’abord en figurant le corporel. On peut rappeler aussi ces équivalences entre ces figurations de l’espace corporel et l’espace du groupe, et plus tard la fonction organisatrice de ces métaphores du corps). Avec cette figuration, il compare implicitement ce qu’il a imaginé et ce qu’il a dessiné, et lui faut déjà, pour poursuivre, tolérer l’écart entre les deux. S’il y parvient, peut-être soutenu par l’intérêt que l’adulte présent lui porte, le dessin peut se scénariser, un réseau de représentations vont se lier entre elles pour construire une narration, un récit qui va ainsi se compléter au fil de son fantasme et de son tracé. Mais pour mener cette construction, l’enfant doit laisser dans l’ombre ce qui dans son espace psychique, est étranger à ce scénario (cf. ces enfants qui au contraire bute sur ce refoulement parce que trop envahis par des représentations non liées, trop crus, trop sexualisées, trop violentes..). Mais il doit laisser aussi à la périphérie de son conscient tout ce qui l’entoure, y compris la personne qui se tient à côté de lui et pour qui il dessine. Pour que la lumière de son attention reste bien concentrée, à la fois sur son espace psychique et sur ce qu’il en figure dans le monde extérieur, sur son support de papier, il doit aussi en même temps maitriser sa motricité au service de ce qu’il réalise, maitriser aussi les émotions que cela lui procure.
Mais on peut aussi faire une autre remarque, c’est que chacune de ces médiations, là j’ai pris l’exemple du dessin qui engage, qui contraint aussi un certain niveau d’expression, mais d’autres solliciterons des niveaux plus pulsionnels, ou au contraire des niveaux plus secondarisés (même si on retrouve toujours une part d’ancrage corporel, et de mise en jeu de la sensori-motricité). Et donc, si chaque média a sa résistance propre qui va attirer certains éprouvés, certains ressentis plutôt que d’autres, chacune de ces médiations (et là on trouve la question du choix d’une médiation plutôt qu’une autre) suppose des exigences, plus ou moins spécifiques, qui devront répondre aux capacités des enfants du groupe à y greffer un travail de représentation
Il faut bien constater que cette capacité ne se donne pas toujours d’emblée, et que certains enfants plutôt que d’investir cet espace de jeu resteront essentiellement tournés vers ce qui leur vient du monde extérieur, c’est à dire des autres. On peut penser de cette façon aux enfants les plus jeunes, encore dépendants des personnes qui s’occupent d’eux, et pour qui la présence effective des objets de la réalité extérieure limite forcément les capacités réflexives, parce qu’il faut bien passer par des expériences intersubjectives avant que les intériorisations ne s’opèrent. On peut penser à toutes ces catégories de la psychopathologie qui mette en avant une problématique autour de la différenciation entre monde externe et monde interne. Mais je ne vais pas développer la question de ce qui serait la question de groupe à médiation, ou groupe sans médiation, je voudrais juste relever quelques unes des manifestations cliniques qui traduisent ce défaut d’intériorité ( ce déficit d’espace préconscient) ; par exemple ces enfants qui sont dans des demandes d’interactions répétées, avec cette exigence du faire avec où ne compte que l’instant présent, et où la présence des autres tend à s’imposer comme un poids de réalité accaparent toute leur attention (avec aussi cet accrochage au perceptif qui peut amener à se confronter aux limites des interdits, aux limites physiques de la pièce), ou encore avec ces réponses brèves qui sont destinées à nous mettre à distance. Enfin tous ces signes qui laissent deviner une crainte des empiétements subjectifs, la crainte d’un écrasement par le monde extérieur, avec la solution qui consiste à des tentatives d’emprise sur les objets angoissant de la réalité extérieure.
Après avoir situé les médiations dans leur fonction de suppléance, tout en soulignant les exigences qui sont attachées à cette fonction. Je vais maintenant envisager cette notion dans sa valeur, on pourrait dire positive.
En posant la question de savoir ce qui peut être attiré par la médiation et qui ne pouvait pas s’exprimer sans l’aide de ces supports, de ces inducteurs. (Là, je vais me référer, mais sans reprendre tous ses termes aux développements que R.Roussillon, mène depuis un certain nombre d’années à partir des notions d’objeu, de médium malléable). Et bien ce qui peut être attiré, ce sont essentiellement tous ces éprouvés, ces ressentis qui n’ont pas acquis un statut représentatif dans l’histoire intersubjective de l’enfant, tous ces états internes qui ne se sont pas mis en représentation de mots, tout au plus en représentations de choses ou d’affects mais dans un régime de processus primaire non liés, et qui sont ainsi restés décontextualisés, c’est à dire sans objet ni sujet. Des états internes vécus comme étranger, comme intrus, comme menaçant l’économie psychique parce que soumis à une contrainte de répétition, en attente, en recherche d’une intégration, d’une appropriation subjective. (On peut voir, dans cette version de la médiation, en quoi va consister le processus induit, c’est à dire celui d’une mise en forme de ces états internes, en les inscrivant dans un scénario intersubjectif qui rendra possible une forme de narrativité).
Pour rendre plus explicite cette notion d’état interne qui n’ont pas pu venir se représenter et qui restent soumis à une contrainte de répétition on peut prendre l’exemple (ça en est un parmi d’autres) de ces expériences qui au cours du développement ont un caractère traumatique et potentiellement désorganisateur. Je veux parler de ces situations qui excèdent la compréhension d’un enfant (soit qu’elle le confronte à une réalité totalement inconnue, soit qu’elles le plongent dans une contradiction insoluble entre des sentiments opposés, soit encore qu’elles entrainent une confusion entre ces deux univers hétérogènes que sont la sexualité infantile et la sexualité adulte….). En tous cas un type d’événement devant lequel il ne pourra que déserter, laissant la place vide à l’intérieur de lui, dans cet état d’absence subjective qui définit le moment traumatique, ne gardant qu’une sensation, une image (qui peut être visuelle, mais aussi auditive, un mot coupé de son sens, olfactive, tec). Une impression attachée à cet événement, et enfouie dans sa mémoire, mais comme un corps étranger, isolé du reste et contre quoi sa pensée viendra buter sur ce mode d’une compulsion à répéter (retrouvant à chaque fois la même angoisse, la même souffrance, la même douleur). Dans ce cadre là, l’attente du thérapeute, ça ne serait pas tellement de demander « A quoi vous pensez « , mais plutôt « Que voyez-vous ? « .
Je vais changer de registre, pour passer maintenant à un autre point qui est de souligner le plaisir d’exercice, le plaisir de fonctionnement recherché, soutenu dans l’utilisation de cette médiation, (plus que la recherche d’une maitrise par exemple, ou encore la recherche du beau dans lequel, les enfants eux-mêmes peuvent se piéger quelquefois en visant la création d’un objet idéal, un beau modelage, un beau dessin, avec cette équation où en créant son objet l’enfant se créer lui-même). Un plaisir du jeu, un plaisir de créer qui est la condition minimale pour investir cet espace thérapeutique avec les enfants en particulier, et par où passe aussi un des résultat attendu c’est à dire une relance des fonctions du Moi (puisque souvent ces patients qui butent sur leur possibilité de mentalisation n’ont trouvé que la voie du comportement, des maladresses instrumentales ou encore d’un défaut d’apprentissages pour signaler leur difficultés de développement). En tous cas, une dimension de plaisir qui à chaque fois s’impose en posant la question de sa nature. Est-ce le simple fait de la participation du corps (un plaisir de décharge ?). Est-ce qu’il suffit d’évoquer un simple facteur économique. Où peut-on aller chercher du côté du plaisir éprouvé dans le jeu de la bobine par exemple, qui corrige les angoisses de perte de l’objet et donc des tendances dépressives ? Est-ce que le plaisir rencontré dans la manipulation active de la médiation est suscitée par la stimulation permanente des fantasmes masturbatoires ? Autant de questions que je laisse en suspend pour ce chapitre, à côté du gain de plaisir que peut susciter le maniement d’une médiation à venir s’inscrire dans une histoire qui appartient aux enfants, et qu’ils savent entendue.
Les points suivants que je voudrais abordés maintenant, concernent maintenant la fonction de ces médiations dans le rapport au thérapeute.
Et d’abord avec cette idée ( qui à l’origine est celle de Mélanie Klein, un autre auteur qu’il faudrait cité sur ce questions c’est bien sur Winnicott, en particulier ave son invention du squiggle qui est en quelque sorte le modèle de référence des médiations) que si, dans la séance on ne peut pas tout faire avec le thérapeute, et bien la présence d’une médiation,( pour elle c’était l’introduction de jouets et du dessin) va répondre à cette nécessité qu’il y ait justement un élément du dispositif avec lequel on puisse faire ce qui ne pouvait pas s’accomplir avec lui. (Un exemple d’objet médiateur les plus significatif à ce titre c’est la marionnette. Une marionnette, ce n’est ni mon corps, ni le corps de l’autre, c’est un corps. Un corps que je peux malmener sans culpabilité, que je peux caresser sans honte. Autrement dit tout ce que je n’oserais éventuellement pas faire avec un autre adulte, je le fais avec ce petit objet. Petit, maniable, il ne me menace pas, je peux le jeter par terre, l’enfermer dans une boîte, l’oublier même, rien ne m’arrivera. Et son mouvement s’arrête si j’arrête ma main et mes doigts. j’en suis le maître, ou du moins j’ai l’impression d’en être plus maitre que de mes paroles ou de mes gestes).Mais, je vais le rappeler au passage, M. Klein avançait également cette autre idée à propos des raisons qui poussaient un enfant à changer de jeu au cours d’une séance, par exemple à laisser les marionnettes pour le dessin, que l’investissement du dessin, la créativité que suppose cet investissement s’enracinait aussi dans la compulsion à réparer, propre à la position dépressive, c’est à dire à la culpabilité de détruire l’objet aimé (en l’occurrence le thérapeute), la réalisation du dessin n’étant à ce moment là qu’un réparation, une tentative de recréer l’objet aimé.
Un autre point, probablement le plus important pour la pratique, c’est de remarquer comment le choix de la médiation, parce qu’il est d’abord le fait du thérapeute, comment ce choix relève donc d’une suggestion, d’une influence (le thérapeute suggère que la médiation doit être investie comme telle pour la bonne marche du processus) et pose d’emblée le problème de l’ accession à la capacité Winnicotienne d’être seul en présence de l’autre, pour nous on peut dire, à la capacité d’être seul en présence du groupe, dans l’investissement de la médiation, sans que cette capacité ne soit vécue comme une forme de désintérêt ou d’abandon et ne soit pas mise en alternative avec les risques d’influence, d’intrusion. Capacité à être seul en présence du groupe, ça veut dire la possibilité en même temps d’investissements narcissiques et d’investissements objectaux, ou encore cette possibilité transitionnelle pourrait-on dire de vivre simultanément une situation affectivement engagée, et en même temps de pouvoir la penser.
Ce problème de la suggestion, sans le pousser jusqu’à celui de la séduction, on ne peut pas le séparer de la question du transfert, puisque ces jeux, ces créations sont toujours adressés, et adressés aux yeux du thérapeute. Là aussi, je voudrais souligner comment l’interprétation de ce transfert est un attracteur de son déploiement, une invitation inductrice, au moins dans un premier temps, à son intensification, à sa mise au premier plan, elle suggère pourrait-on dire que le thérapeute doit être un objet investi comme tel pour la bonne marche du processus.
Avec tout ça la question qui se pose, en particulier dans la perspective de la fin du groupe, c’est bien celle d’un dégagement, d’une déconstruction de cette influence qui pour la médiation passe certainement par la possibilité comme on dit d’une réappropriation de l’activité de jeu, au prix quelquefois d’un détournement de son utilisation initiale. Concernant le transfert, on peut se rappeler aussi que nous ne sommes des gens de passage dans la vie de ces enfants, et que d’une certaine façon un des buts de notre travail est de nous faire oublier pour les autrement ces enfants aux figures de leur propre histoire.
Dernière remarques, cette fois sur la place que l’on donne à la médiation suivant le cadre thérapeutique, suivant que l’on prend l’option d’un travail individuel en groupe, l’option d’un travail groupal à médiation, ou d’un processus de groupe dans un cadre psychothérapique.
– Ce que chacun des participants va répéter de sa propre histoire, une histoire déjà inscrite dans son propre groupe familial (donc dans un avant et un ailleurs), et qui apparaitra à travers la médiation, avec les échos, les relais donnés par tous, par les autres.
– Ce que les enfants du groupe vont vivre ensemble dans l’ici et maintenant de la rencontre par des échanges directs tendant à s’autonomiser de la médiation, et excluant ce qui touche leur vie personnelle au dehors.
– Ce qui du petit groupe des enfants va s’actualiser et se donner à voir à l’intérieur même de la médiation, désignant celle-ci comme l’opérateur et le lieu d’appel d’un processus groupal. Dans ce cas, il s’agit alors d’un déplacement, d’un transport de la réalité du groupe vers l’espace de la médiation. Un espace qui vaudra comme une instance tierce s’interposant entre les relations réelles directes d’un participant à un autre. Un espace en attente de représentation comme un écran sur lequel viendront s’exposer les mouvements imaginaires du groupe. Dans ce cas, la direction de séance ne constitue pas un leadership sur les enfants, mais une fonction de passeur entre la réalité du groupe ainsi réuni, et son dédoublement dans un espace de jeu et de création. La question se posant alors de savoir comment le thérapeute lui-même se trouve représenté dans cet espace (cf. le maniement du transfert).
– Discussion
Savoir si comprendre les processus groupaux était ou non une aide à la médiation a été un questionnement central de la discussion. Pourtant cette compréhension s’avère nécessaire quand ces derniers viennent à paralyser l’utilisation de la médiation voire même l’existence du groupe. Mais que se passe-t-il quand les moniteurs du groupe perçoivent ces processus groupaux ? Ne risquent-ils pas de perdre la spécificité de leur médiation ? L’expérience montre que, pour la plupart, ils enrichissent la pratique de leur médiation par une confiance élargie dans le support (le fond ?) qu’offre le groupe. Etre attentif aux processus groupaux, ou plus précisément à la dynamique du groupe, libère la disponibilité des individus à la médiation tant pour le moniteur du groupe que pour les participants à ce groupe. Avoir une compréhension de ce qui se passe dans un groupe ne conduit pas à faire une analyse de groupe (qui nécessite une formation toute autre) et il nous faut distinguer ce qu’il en est des groupes thérapeutiques à médiation, des groupes psychothérapiques à médiation et des psychothérapies psychanalytiques de groupe.