CENTRE D’INFORMATION ET DE RECHERCHE en Psychologie et Psychanalyse Appliquées aux groupes

Le traumatisme de la mise en groupe pour le thérapeute

Antoine DUCRET
18/05/2008

Parler de traumatisme pour le thérapeute lors de la mise en groupe peut sembler étrange ; Après réflexion, j’ai réalisé qu’en effet ce pouvait être un traumatisme, qu’il n’était pas facile d’en parler, qu’il pouvait être associé à un sentiment de honte, voire d’incompétence. Mais les arrêts au cours de la formation, les déceptions, les non dits, montraient que ce traumatisme était probablement assez souvent partagé et rarement élaboré.
 
Rétrospectivement, le premier groupe d’enfants dont j’ai été le thérapeute a été assez traumatique pour moi. J’aurais pu m’en arrêter là , J’avais pensé à un compromis, faire un groupe avec une cothérapeute formée par le CIRPPA , mais P. Privat m’a fortement encouragé à reprendre un autre groupe seul ; Ce groupe – qui est encore actuellement en place – à ma grande surprise, s’est déroulé comme dans les livres.
Paradoxalement, c’est le premier groupe qui m’a le plus poussé à réfléchir ; J’ai été contraint d’élaborer ce traumatisme, il est la source de tout un questionnement pour moi et ce travail en est l’ un des aspects ;
Je précise juste que je parle de traumatisme au sens de la définition donnée dans le dictionnaire international de la psychanalyse. « C’est un événement qui, par sa violence et sa soudaineté, entraîne un afflux d’excitation suffisant à mettre en échec les mécanismes de défense habituellement efficaces et qui produit le plus souvent un état de sidération . Il entraîne à plus ou moins long terme une désorganisation dans l’économie psychique. »

J’ai repéré deux situations qui peuvent être source de traumatisme.
Pour commencer je partirai d’une réflexion de René Kaes. Dans un colloque, il parlait d’Anzieu et de leurs rencontres régulières pour évoquer les angoisses archaïques auxquelles ils étaient confrontés dans la pratique des groupes ainsi que les pensées qui leur venaient pour tenter de les contenir et de les symboliser. Il s’agissait d’angoisses paniquantes, dont Anzieu se protégeait par un fantasme et une défense; Il se vivait –et faisait vivre- comme s’il était à la fois le taureau dans l’arène, cherchant à donner des coups de corne avant de recevoir l’estocade du matador , et comme le matador lui même qui risque d’être éventré, mais qui finit par soumettre la bête et la tuer.
Il triomphait répétitivement en héros, tel « cet oedipe supposé conquérir le groupe » auquel il s’identifiait, capable de mater les masses, mais prêt à s’exposer et à risquer sa peau.
On retrouve ces angoisses archaïques dans la pratique des groupes d’enfants ;
La mise en groupe, provoque on le sait une régression chez les enfants et des menaces identitaires pratiquement dés le début, mais le thérapeute n’en est pas exempt ; Le thérapeute lui aussi entre dans la régression, il y est littéralement entraîné.
Anzieu, parlant des groupes larges, évoque les menaces identitaires, dont il dit qu’elles augmentent avec le nombre de participants au groupe. Se référant aux théories de Mélanie Klein, il pense que la situation groupale installe tout le monde, -moniteurs compris- dans des angoisses de type psychotique.
Pour lui, la régression fait revivre aux participants la situation du nourrisson qui dé fusionne de sa mère, qui émerge comme individu et qui cherche à constituer à l’extérieur de lui l’objet d’amour.
Il fait une distinction entre les petits groupes dans lesquels cette situation est revécue avec une protection de type maternel (le groupe est une mère de substitution) , tandis que dans les grands groupes , les participants expérimentent la perte de la protection maternelle. Pour lui, le petit groupe, comme la famille, opère une névrotisation des mécanismes psychotiques originaires, alors que dans le groupe large, comme la carence maternelle, psychose les sujets, cad les confronte à des mécanismes archaïques à l’état pur, clivage de l’objet, projection des pulsions destructrices, recherche du lien. Le groupe large réalise en quelque sorte une expérience passagère de dépersonnalisation –et, je rajoute, pour tout le monde, thérapeute compris.
Il précise que malgré tout, ce que l’on observe dans les grands groupes existe également dans les petits groupes, mais à minima.
Il me semble que la distinction entre les groupes est moins valable dans la pratique des groupes d’enfants et que le thérapeute peut être confronté rapidement aux angoisses psychotiques – peut être parce que la régression est immédiate et plus visible.
Pour revenir au fantasme défensif d’Anzieu en position de matador, je voudrais proposer une autre métaphore qui me semble correspondre à ce que j’ai pu vivre au cours de la mise en groupe d’enfants en particulier lors de la régression .Je ferai référence aux travaux d’Héraclès et en particulier au 2e, celui du combat contre l’Hydre de Lerne
Selon les versions, elle avait un corps de chien ; huit ou neuf têtes de serpents dont l’un était immortel. Mais selon certains, elle en avait cinquante ou cent, et l’on va même jusqu’à prétendre qu’elle avait dix mille têtes. Héraclès pour la faire sortir de son repaire lui avait lancé des flèches embrasées, mais lorsqu’il a voulu s’emparer d’elle, le monstre s’enroula autour de ses pieds pour essayer de le faire tomber.
Il avait beau frapper les têtes avec sa massue, à peine en avait il écrasé une que deux ou trois autres repoussaient à sa place.
Il me semble que la mise en groupe, comme les flèches embrasées qui vont faire sortir l’Hydre de son repaire nous confronte à une pulsionnalité déchaînée, totalement, anarchique,, où la violence est désintriquée. Et que cette représentation exprime bien cette terreur que l’on ressent devant la régression qui s’opère et qui nous entraîne ; Vis à vis d’elle nous sommes impuissants, envahis jusque dans notre corps et dans l’incapacité de penser ;
Car, contrairement à Héraclès ,nous n’avons pas la motricité pour y faire face, pas de massue pour assommer le monstre, et encore moins de possibilité de cautériser les chairs pour les empêcher de repousser ; La pulsionnalité est là, à l’état brut, primaire , non liée, elle renaît en permanence, elle vient nous menacer, nous envahir, nous terroriser.
Et je pense que là, il y a un risque de traumatisme, et ce d’autant plus que le groupe en est au début, qu’il y a un effet de surprise et que sa fonction pare excitante ne peut pas encore exister.
Devant cet excès d’excitation suscité par la régression et la menace identitaire nous n’avons qu’une seule arme , notre appareil à penser , notre capacité à contenir ces éléments bêta et à les transformer, mais le débordement de notre appareil psychique menace à tout instant.
Il me semble que l’angoisse devant l’indifférenciation , la perte des limites corporelles et psychiques s’exprime également assez bien dans cette représentation d’un monstre fait d’un seul corps mais de plusieurs têtes, fou de rage et de douleur et qui vient s’enrouler autour de nous.
Alors comment les enfants peuvent ils réagir face à cette angoisse autrement que par la terreur et l’excitation ?
Je ne suis pas sur de pouvoir comme le dit Anzieu « mater les masses tel Œdipe », pensant justement qu’on est bien loin des angoisses oedipiennes de castration ;
Et c’est peut être là toute la difficulté de la pratique des groupes,
Il y a évidemment encore beaucoup d’autres formes d’angoisses que nous font vivre ces enfants, celle de l’étouffement, de l’écrasement, celle de l’intrusion, celle de dépersonnalisation.
Nous sommes comme les enfants confrontés à ces terreurs dont ils se débarrassent par identification projective sur nous, A notre insu, la régression nous entraîne également et nos propres angoisses, qui jusque là, en principe étaient sans doute clivées peuvent être réactivées.
Voici un vignette qui me semble t il correspond à ce vécu ; Il s’agit de la 2e séance d’un groupe de 6 garçons qui se sentent menacés par la régression et qui tentent de s’en protéger ;
Dans cette séance, Alexis est absent ; Ils commencent à proposer des jeux, du foot, Sébastien va au tableau et dessine. L’agitation commence dés qu’ils sont plusieurs au tableau à vouloir écrire. Sébastien semble être débordé dans son excitation et attaque les dessins des autres. Il les efface et envoie la poussière de la craie sur eux.
Paul a peur car il est allergique ; L’un d’entre eux demande aux autres dans quelles classes ils sont. Sébastien, qui se désorganise veut sortir pour jouer dehors au chat et à la souris ; Je lui rappelle les règles.
Alexandre le provoque, écrit son nom sur son dessin ; Sébastien l’efface. Les 3 autres enfants dessinent à l’autre bout du tableau, assez calmes et se plaignent de l’envahissement de Sébastien. Chacun essaie de délimiter sa propre place et lutte pour conserver son identité.
Et Sébastien dit « Je vais écrire mon nom, « Sébastien le costaud » Il envahit l’espace .
Paul, suivi des autres veut s’asseoir pour dessiner, chacun a une feuille et Paul se lève pour dessiner un monstre sur le tableau. Ce monstre a un lance flamme et des rayons lasers.
Ils veulent ensuite faire un concours et me demandent d’être le juge ; Finalement c’est Paul qui sera le juge. Ils dessinent chacun quelque chose, Alexandre, le nom de Sébastien, qui râle, Sébastien, un enfant qui rentre chez lui et a oublié des pommes, Gabriel les tueurs du 11 septembre, et Yannis une tortue.
Tous vérifient régulièrement l’heure, veulent partir avant la fin, s’agitent en fin de séance et la séance se termine.
On voit bien là dés la 2e séance la menace de perte d’identité et les moyens mis en place pour lutter contre cette menace.
Mais moi aussi, j’étais concerné, moi aussi j’étouffais dans l’atmosphère provoqué par le nuage de craie. J’étais sollicité pour les aider à lutter contre la régression.Le dragon dessiné par Paul pouvait représenter l’angoisse du groupe, dans une problématique oedipienne, mais je crois que déjà ce dessin était une défense contre des fantasmes irreprésentables tels que celui dont j’ai parlé et qui étaient communs à tout le groupe, moi y compris.

Le traumatismes peut également étre vécu dans une autre situation – et elle me paraît plus lourde de conséquences, c’est celle du surgissement brutal de la haine chez le thérapeute, qu’il peut ressentir à certains moments de l’évolution d’un groupe.- et qui peut parfois se répéter au cours de la cure.
Elle est traumatique dans le sens où elle réveille chez le thérapeute des forces destructrices d’ une grande intensité – qui peuvent dépasser les capacités de liaison de son appareil psychique ; Les mécanismes de défense tels que le refoulement , le déni, la projection, le retournement sur soi même sous forme de masochisme peuvent étre inefficaces , il ne peut plus penser, il ne peut plus non plus se débarrasser du surplus d’excitation par la décharge motrice et il peut alors retrouver cet état de détresse infantile et de sidération décrit par Freud.
Qu’est ce qui peut provoquer sa haine, comment la comprendre et qu’en faire ?

 

Voici une séance qui témoigne de cette difficulté ; C’est encore le même groupe, à Claude Bernard, auquel participent six garçons, dont une grande majorité sont pour le moins des états limites.
Il s’agit de la 23e séance (en mars pour un groupe commencé en septembre).
Ce jour là, il manque Paul, l’enfant le moins perturbé.
D’emblée Alexis et Alexandre se moquent de Thomas qui porte un pantalon qui ressemble à un pyjama et qui est trop grand pour lui.Alexandre regarde à l’intérieur et note qu’il s’agit d’un XL, et ajoute que c’est pour quelqu’un qui a 32 ans.
Puis ils se mettent debout sur la table, dans un état d’excitation important, veulent ouvrir la porte de l’armoire en fait bloquée par la table qu’ils ont déplacée. Ils me supplient de la laisser ouverte pour voir ce qu’il y a dedans.
Je refuse et je commente ce besoin qu’ils ont d’aller voir ce qui se passe dans un endroit caché. Ils m’accusent de leur mentir disant que j’ai les clefs de l’armoire, qu’un jour , ils m’ont vu l’ouvrir.
Thomas montre sur l’armoire et à plusieurs reprises se laisse tomber du haut de l’armoire.
Je commente sur la peur d’être lâché en faisant référence à l’enfant absent.
Ils jouent tous à se faire peur, à sauter de l’armoire et se moquent de mes interventions.
Gabriel à un moment se retrouve seul en haut de l’armoire, exprime sa peur et Thomas se moque de lui.
Pendant ce temps, Alexandre fouille dans les poches du blouson d’Alexis et en sort un document qui explique le fonctionnement de la play station.Ils rigolent.
Ils se moquent de Gabriel et de sa peur, le traitent de pédé.
J’interviens en disant qu’on est aussi là pour parler de nos peurs.
Alexandre et Alexis se retrouvent en haut de l’armoire et demandent qu’on leur rapproche les chaises pour pouvoir descendre, Thomas s’y oppose, ils exigent et finissent par descendre . Le ton monte, l’excitation s’installe, ils se mettent à crier et tout d’un coup Alexandre commence à siffler en mettant les doigts dans sa bouche ; C’est un cri strident, insupportable dont j’ai l’impression qu’il me pénètre et qui me fait terriblement mal aux oreilles. Je lui demande d’arrêter évidemment, il continue encore plus d’autant qu’Alexis l’encourage ; J’ai l’impression que mes tympans vont exploser, que je vais devenir fou , je suis pris d’une forte angoisse et je me mets à crier « Ta gueule ! »
Ils sont tous surpris , un peu sidérés, et moi aussi d’ailleurs.
Alexandre s’arrête immédiatement.
Ils sont très fiers de m’avoir fait craquer et me disent « On va le dire » Mais Thomas rajoute, « Non, on a dit que tout ce qui se passait ici ne devait pas être répété à l’extérieur ».
Je ne suis pas très fier de moi , je ne vois pas comment je pourrai justifier mes paroles ;
Je propose que l’on parle de ce qui s’est passé ; Ils me disent que c’est moi qui ai provoqué, et très vite, ils ont tous envie d’aller aux toilettes ;
Puis ils se plaignent de la loi Ils n’ont pas le droit d’apporter des choses de l’extérieur, ils n’ont pas le droit de pisser, Alexis me dit que « si quelqu’un meurt au cours de la séance, personne en bougera « qu’ils pourraient même avoir une jambe cassée, et pisser le sang, personne ne bougerait et que ce serait de ma faute.
Je passe sur le reste de la séance qui s’est déroulée dans le calme et qui , je crois a été la seule au cours de laquelle ils ont pu dire pourquoi ils étaient là ( Hyperactif pour l’un, problèmes à l’école pour l’autre, faire des conneries pour Alexis)
Il ne sera plus question de cette séance dans le reste du traitement.
Je ne sais pas exactement quelle a été la nature de cette angoisse que je n’ai pas pu supporter .Alexandre, dont la mère était terriblement intrusive avait montré au cours de cette séance une forte tendance à pénétrer –par intrusion dans l’espace des autres.
Son sifflet strident pénétrait dans mes tympans, traversait ma tête, il faisait intrusion dans mon espace psychique : Les limites entre mon monde interne et le monde externe ne pouvaient plus tenir je ne pouvais plus penser ; Il n’y avait pas de représentation, juste une attaque sensorielle, que je n’ai pas pu transformer ; Il a sans doute voulu me dire de cette façon ce qu’il avait vécu avec sa mère, comment elle l’avait attaqué dans son intimité et peut être combien c’était dangereux pour lui et sans doute pour les autres de retrouver ces angoisses dans la mise en groupe et la régression.
Je voudrais rapprocher cette vignette clinique d’un article de Winnicott paru en 1947 et intitulé « La haine dans le contre transfert. »
Je vais le citer assez longuement, car bien qu’il ne se soit pas occupé de groupes, je suis frappé de voir à quel point ce qu’il écrit ressemble à ce que j’ai vécu là et entendu à maintes reprises lors des autres supervisions. Je précise avant que ce que Winnicott appelle patient psychotique est celui qui a eu une carence de l’environnement lors de sa petite enfance.
Il commence par « A mon avis, si un analyste doit analyser les psychotiques ou les individus antisociaux, il faut qu’il puisse avoir si complètement conscience du contre transfert qu’il soit à même de distinguer ses relations objectives à l’égard du patient et les examiner ; Celles ci comprennent la haine. »
Puis « Ce que je veux faire entendre, c’est que le patient n’apprécie dans l’analyste que ce qu’il est lui même capable de sentir… »…et Winnicott demande » Si un psychotique est dans un état de sentiments où coïncident l’amour et la haine, ne ressent il pas la conviction profonde que l’analyste lui aussi est seulement capable d’une relation brute, dangereuse, où coincident amour et haine ? Si l’analyste montre de l’amour, il tuera sûrement le patient du même coup ;
Cette coïncidence de l’amour et de la haine est une chose qui se retrouve de façon caractéristique dans l’analyse des psychotiques soulevant des problèmes d’aménagements dans la cure qui peuvent aisément dépasser les ressources de l’analyste. Cette coïncidence … à laquelle je me réfère est distincte du facteur agressif compliquant la pulsion libidinale primitive et implique que, dans l’anamnèse du patient, il y a eu une carence précoce de l’environnement au moment des premières pulsions instinctuelles à la recherche de l’objet. »
»L’analyste avant tout ne doit pas nier la haine qui existe réellement en lui. » Cette haine est justifiée dit il .
Puis Winnicott montre que la haine est toujours plus ou moins latente dans le travail avec les névrosés, « Mais que dans l’analyse des psychotiques, l’analyste assume une tension bien différente en quantité et qualité ».
Et il finit par poser la question « Que se passe t il s ‘il n’y a pas eu de relation satisfaisante de la petite enfance que puisse exploiter l’analyste dans le transfert ? »
« Il y a une énorme différence entre les patients qui ont eu des expériences précoces satisfaisantes, que l’on peut découvrir dans le transfert, et ceux dont les expériences très précoces ont été si déficientes ou si distordues que l’analyste doit être le premier dans la vie du malade à lui fournir certains éléments d’environnement essentiels ».
Du coup « le fait de fournir et maintenir un environnement ordinaire peut être en soi une chose encore plus vitale dans l’analyse d’un psychotique ; C’est parfois même, à certains moments, plus important que les interprétations verbales. »Et plus loin, « dans l’analyse des psychotiques, l’analyste a plus de pression à supporter pour maintenir sa haine latente. Il n’y parvient que s’il s’ en rend tout à fait compte ; J’ajoute qu’à certains stades de certaines analyses, la haine de l’analyste est effectivement recherchée par le malade, et ce qui est nécessaire alors, c’est la haine qui est objective. Si le patient cherche de la haine objective ou justifiée, il faut qu’il puisse l’atteindre , sinon, il n’aura pas le sentiment que l’amour objectal peut être à sa portée. »

Enfin Winnicott va parler d’un enfant antisocial qu’il a pris chez lui trois mois et qui faisait sans arrêt des fugues. Il a vécu trois mois d’enfer, et il explique comment cet enfant a provoqué de la haine chez lui et comment il y a réagi.
« L ‘ai je frappé ? Non, je ne l’ai jamais frappé. Mais j’aurais été forcé de le faire si je n’avais pas tout su de ma haine et si je ne la lui avais pas fait connaître aussi. Pendant les crises, je le prenais en utilisant la force physique, sans colère ou blâme, et je le mettais dehors devant la porte d’entrée, quel que fût le temps ou l’heure, de jour ou de nuit. Il y avait une sonnette spéciale qu’il pouvait actionner et il savait que s’il sonnait, il serait admis de nouveau et qu’on ne dirait pas un mot du passé.. ;
« Ce qui est important c’est que chaque fois que je le mettais dehors, je lui disais quelque chose ; Je disais que ce qui était arrivé avait suscité de la haine à mon égard . C’était facile parce que c’était tellement vrai. »
« Je crois que ces paroles étaient importantes du point de vue de ses progrès, mais elles étaient surtout importantes parce que cela me permettait de tolérer la situation sans éclater, sans me mettre en colère et sans le tuer à tous moments «
J’en terminerai là juste après une dernière citation « Pour ma part, je doute qu’un petit d’homme en se développant soit capable de tolérer tout l’étendue de sa propre haine dans un environnement sentimental, Il lui faut haine pour haine. Si c’est exact , on ne peut s’attendre à ce qu’un psychotique en analyse tolère sa haine de l’analyste, à moins que l’analyste soit capable de le haïr. »
Evidemment tout ce qu’a dit Winnicott s’applique à des traitements individuels, mais la mise en groupe par le biais de la régression et de la compulsion de répétition révèle très vite ces carences de l’environnement et donc toute cette haine qui y est liée. La aussi, ce peut être l’enfer. Les exemples cliniques ne manquent pas et la contenance de l’analyste, voire du groupe est bien vite insuffisante lorsque des enfants tels que j’ai eu dans ce groupe régressent. Avoir pris conscience de sa haine est sûrement très important, mais pas suffisant.

Je pense que le problème se complique du fait de la mise en groupe. Cette dernière est une menace pour l’identité, on le sait, et ce d’autant que le groupe est plus large. Et l’on sait également que pour se défendre d’une menace identitaire, on utilise immédiatement la violence, au sens de la violence fondamentale décrite par Bergeret. Pour sauver sa peau que l’on sent menacée, il faut annihiler l’autre. J’avais présenté une autre fois une séance au cours de laquelle les enfants de ce groupe avaient voulu anéantir Paul.
Il me semble que chez les enfants dont l’identité n’est pas bien établie les menaces identitaires sont au cœur du problème et l’on peut retrouver dans ces groupes des angoisses que l’on a décrites dans les groupes larges- dits de formation.
Je vais citer des passages d’un article de Turquet paru dans le bulletin de psychologie en 1976 et qui traite des menaces identitaires dans les groupes larges.
Pour lui, « le phénomène de la violence est peut être la caractéristique majeure du groupe large., spécialement dans la perspective de l’angoisse initiale éprouvée par ses membres. Comme l’a dit un participant d’un tel groupe, « Le grand groupe n’est pas fait pour un cœur malade, fatigué ou faible ».
L’idée de violence est présente sous maintes formes- spécialement au début -comme une crainte sans nom, une peur de quelque chose qui est alentour, qui va arriver, exprimée simplement par « j’ai peur » Elle s’exprime aussi par le silence du Je , par une incapacité de parler de cette peur. »
« La violence vise le Je en tant que manifestant son individualité ; Il est l’objet d’un anathème, il a à être annihilé. »
Comme je l’ai déjà dit, ces angoisses et cette violence existent aussi dans les groupes d’enfants ; Lorsque dans un groupe il y a plusieurs enfants qui présentent une pathologie limite, la violence liée aux carences de l’environnement va entrer en résonnance avec la violence propre du groupe ;
Je pense que cette association peut étre à la source de traumatismes chez le thérapeute, et sans doute chez les enfants. Cela me semble correspondre à ce que j’ai bien souvent vécu au cours de ce groupe.

Et je terminerai par quelques questions ;
Le dispositif crée au Cirppa l’a été pour des enfants de structure plutot névrotique –et correspond très bien aux enfants que j’ai dans mon groupe actuel.
Pour des enfants peu structurés, ayant du mal à contenir leur monde interne, ce dispositif est il adapté à la violence qu’il va susciter chez tous les participants ?
Certes, l’excitation est un facteur de changement, et donc à encourager mais, comme avec l’angoisse, n’y a t il pas un seuil à ne pas dépasser ?
Les thérapeutes vont étre attaqués, c’est leur boulot, mais doivent ils accepter d’étre maltraités ?
Est ce souhaitable pour les enfants eux mêmes ?
N’avons nous pas à nous interroger sur les limites de notre masochisme ?

Antoine DUCRET